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DE LA VIE DE JÉSUS.

ment, tout ce qu’ils enseignaient ! L’histoire y perdait, la religion y gagnait. Je n’ai point inventé la critique ; mais, puisqu’elle a commencé son œuvre, il convient qu’elle l’achève. Il n’y a de bien que ce qui est conduit au terme. Le génie de l’humanité veille sur elle. Il ne lui arrachera pas ce qu’elle a de plus précieux. Que chacun donc agisse conformément à son devoir et à sa conscience, et qu’il abandonne le reste à la fortune ! »

La fortune répondit à l’auteur en lui suscitant bientôt des successeurs plus audacieux que lui, et contre lesquels aujourd’hui il cherche vainement à réagir. Il semblait qu’il avait épuisé le doute au moins à l’égard de l’Ancien Testament ; les professeurs de théologie[1] de Vatke, de Bohlen et Lengerke lui ont bien montré le contraire. Suivant l’esprit de cette théologie nouvelle, Moïse n’est plus un fondateur d’empire. Ce législateur n’a point fait de loi ; on lui conteste, non-seulement le Décalogue, mais l’idée même de l’unité de Dieu. Encore cela admis, que d’opinions divergentes[2] sur l’origine du grand corps de tradition, auquel il a laissé son nom ! M. de Bohlen[3], dont j’emprunte ici les expressions littérales, trouve une grande pauvreté d’invention dans les premiers chapitres de la Genèse, qui, d’ailleurs, n’a été composée que depuis le retour de la captivité. Selon ce théologien, l’histoire de Joseph et de ses frères n’a été inventée qu’après Salomon par un membre de la dixième tribu. D’autres placent le Deutéronome à l’époque de Jérémie, ou même le lui attribuent. D’ailleurs, le Dieu même de Moïse décroît dans l’opinion de la critique en même temps que le législateur. Après avoir mis Jacob au-dessous d’Ulysse, comment se défendre de la comparaison de Ju-

  1. M. de Bohlen, professeur à Kœnigsberg, la Genèse (1835). — M. César de Lengerke, le Livre de Daniel, Kœnigsberg 1835. — M. de Vatke, la Religion de l’Ancien Testament, Berlin, 1833. — Il est digne de remarque que ces trois ouvrages ont paru dans la même année que celui du docteur Strauss.
  2. Je ne puis trop répéter que ce serait une erreur grave de prendre chacune des opinions que je cite comme étant universellement approuvée. Ce qui montre, au contraire, combien les études religieuses sont abondantes, combien ce sol est vivace, c’est qu’aucun système n’est véritablement sacrifié ni abandonné. Ainsi, l’école de critique de M. de Wette a provoqué l’ouvrage aussi orthodoxe que savant de M. Hengstemberg sur les Rapports de l’Ancien Testament avec le christianisme, Berlin, 1829 (Christologie des Alten Testaments). Il est dans la nature de mon sujet de mettre surtout en lumière les devanciers de M. Strauss. Ce serait l’objet d’un second examen de s’occuper des travaux d’une critique plus tempérée, et en général des ouvrages d’exégèse, indépendamment de leur direction religieuse. Je ne puis m’empêcher de citer à cet égard, dès aujourd’hui, les travaux de M. Gesenius et de M. Hitzig sur Ésaïe, ceux de M. Ewald sur les Psaumes, ceux de M. Umbreit sur Job et les Proverbes. Ce dernier, auquel je dois plus d’un éclaircissement précieux, poursuit la belle tradition de l’école de Herder.
  3. Voyez la Genèse, par M. de Bohlen, Introduction, pag. 98, 144, 189, 197, etc.