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récits de l’enfance du Christ étaient presque seuls atteints par le système des symboles. Un peu après, les trente premières années de la vie de Jésus sont également converties en paraboles ; la naissance et l’ascension, c’est-à-dire le commencement et la fin, étaient seules conservées dans le sens littéral ; tout le reste du corps de la tradition avait plus ou moins été sacrifié ; encore ces derniers débris de l’histoire sainte ne tardèrent-ils pas eux-mêmes à être travestis en fables. Au reste, chacun apportait dans cette métamorphose le caractère de son esprit. Selon l’école à laquelle on appartenait, on substituait à la lettre des évangélistes une mythologie métaphysique ou morale, ou juridique, ou seulement étymologique ; les intelligences les plus abstraites ne voyaient guère sur le crucifix que l’infini suspendu dans le fini ou l’idéal crucifié dans le réel. Ceux qui s’étaient attachés surtout à la contemplation du beau dans la religion, après avoir éloquemment affirmé, répété, établi, que le christianisme est, par excellence, le poème de l’humanité, finirent par ne plus reconnaître dans les livres saints qu’une suite de fragmens ou de rapsodies de l’éternelle épopée. Tel fut Herder vers la fin de sa vie. C’est dans ses derniers ouvrages (car les premiers ont un caractère tout différent) que l’on peut voir à nu comment, soit la poésie, soit la philosophie, dénaturent insensiblement les vérités religieuses ; comment, sans changer le nom des choses, on y donne des acceptions nouvelles, si bien qu’à la fin le fidèle qui croit posséder un dogme ne possède plus, en réalité, qu’un dithyrambe, une idylle, une tirade morale, ou une abstraction scolastique, de quelque beau mot qu’on les pare. L’influence de Spinosa se retrouve encore ici. C’est lui qui avait dit : « J’accepte, selon la lettre, la passion, la mort, la sépulture du Christ, mais sa résurrection comme une allégorie. Cæterùm Christi passionem, mortem et sepulturam tecum litteraliter accipio, ejus autem resurrectionem allegoricè[1]. » Cette idée ayant été promptement relevée, il ne resta plus un seul moment de la vie du Christ qui n’eût été métamorphosé en symbole, en emblème, en figures, en mythes, par quelque théologien. Neander lui-même, le plus croyant de tous, étendit ce genre d’interprétation à la vision de saint Paul dans les Actes des Apôtres. On se faisait d’autant moins de scrupule d’en user ainsi, que chacun pensait que le point dont il s’occupait était le seul qui prêtait à ce genre de critique ; et d’ailleurs, si l’on conservait quelque inquiétude à cet égard, elle s’effaçait par cette unique con-

  1. Epistola XXV