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DE LA VIE DE JÉSUS.

rent violemment tranchées par le XVIIIe siècle, qui, changeant les principes de la philosophie, changea aussi les formes du scepticisme.

Ces conséquences ne furent pleinement déduites que par l’Allemagne, qui, de ce côté, du moins, se rattache à Pascal. Le système de l’explication mystique une fois adopté, il est facile de pressentir ce qui a dû arriver. L’histoire sacrée a de plus en plus perdu le terrain, à mesure que s’est accru l’empire de l’allégorie. On pourrait marquer ces progrès continus, comme ceux d’un flot qui finit par tout envahir. D’abord, en 1790, Eichorn n’admet comme emblématique que le premier chapitre de la Genèse. Il se contente d’établir la dualité des Elohim et de Jéhovah, et de montrer dans le Dieu de Moïse une sorte de Janus hébraïque au double visage. Quelques années à peine sont passées, on voit paraître, en 1803, la mythologie de la Bible par Bauer. D’ailleurs, cette méthode de résoudre les faits en idées morales, d’abord contenue dans les bornes de l’Ancien Testament, franchit bientôt ces limites, et, comme il était naturel, elle s’attacha au nouveau. En 1806, le vénérable conseiller ecclésiastique Daub[1] disait dans ses Théorèmes de Théologie : « Si vous exceptez tout ce qui se rapporte aux anges, aux démons, aux miracles, il n’y a presque point de mythologie dans l’Évangile. » En ce temps-là, les

    récompensé de son génie par la persécution de tout son siècle. Le désespoir le conduisit à brûler lui-même en secret ce qui lui restait de manuscrits ; il survécut peu de temps à ce sacrifice. Après tous les travaux des écoles allemandes qui l’ont réhabilité et le proclament justement leur précurseur, ses ouvrages sont encore des chefs-d’œuvre. — Voyez ses Histoires critiques de l’Ancien et du Nouveau Testament, ses Lettres choisies, etc… Voyez aussi Credner, introduction au Nouveau Testament, pag. 31.

  1. Après avoir joui de l’amitié de cet homme célèbre dans son pays, je ne puis prononcer ici son nom sans payer à sa mémoire l’hommage qui lui est dû, sauf à y revenir plus convenablement ailleurs. M. Daub, professeur de théologie à l’université de Heidelberg, l’un des premiers hommes de l’Allemagne, était un philosophe dans le sens le plus grave, le plus hardi, le plus austère du mot. L’accord de la religion et de la science a été la question de toute sa vie. Son esprit, toujours en progrès, a cherché à la résoudre, suivant les temps, par le système de Kant, de Fichte, de Schelling, puis de Hegel, dans la foi duquel il est mort. Ses ouvrages descendent à une profondeur où bien peu d’esprits en Europe peuvent le suivre ; mais ce même homme, d’une obscurité sibylline lorsqu’il écrivait, devenait subitement la clarté même dès qu’il commençait à parler ; d’ailleurs très original, très vif, très saisissant. Il avait par excellence le génie du monologue philosophique, qui devenait chez lui un véritable drame. Que de fois, seul avec lui pendant de longues heures, j’ai admiré cette éloquence étrange du désert, pensant que nul ne pouvait mieux que lui donner l’idée d’un Faust sexagénaire encore appliqué à l’évocation de la science divine ! Ses derniers momens ont répondu à ce caractère. La mort l’a trouvé dans sa chaire, et l’y a achevé au milieu même d’une de ses leçons de philosophie. Ses auditeurs, qui recueillaient l’instant d’avant ses paroles encore vibrantes, le virent tout d’un coup s’arrêter ; la mort l’avait interrompu ; ils l’emportèrent eux-mêmes dans leurs bras. Les improvisations choisies de ses cours se publient par souscription, et formeront douze volumes posthumes ; celui de l’Anthropologie, que l’on doit aux soins de M. Marheinecke, a paru déjà avec le plus grand succès.