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DE LA VIE DE JÉSUS.

Calvin ! Quel esclavage, grand Dieu ! N’oser être ni dans la foi, ni dans le raisonnement, ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans l’église, ni dans l’école ! Est-ce là vivre ? » J’ose espérer que ceux qui liront avec attention les pages suivantes concevront une autre idée de la situation réelle de la réforme, que du moins l’accusation d’inconséquence disparaîtra pour eux. Peut-être même reconnaîtront-ils, dans le travail de la théologie moderne, une des faces les plus profondes et les plus originales de l’esprit de leur temps. Quant à ceux qui ne cherchent dans ces sujets qu’une matière d’amusement ou d’imagination, ils feront bien pour eux-mêmes, aujourd’hui, de laisser là cette lecture.

Si l’ouvrage que j’ai à examiner se bornait à nier la partie surnaturelle de la révélation, il rentrerait dans l’école anglaise du XVIIIe siècle. Ces doctrines ayant été suffisamment répandues et controversées en France, il est probable que je n’aurais point à m’occuper d’un système qui manquerait pour nous de toute nouveauté ; mais le scepticisme des écoles allemandes se rattache à un ordre de pensées si différentes de celles-là, que même elles n’ont point d’expression exacte et correcte dans notre langue[1] ; en sorte que la première difficulté que je rencontre est de définir clairement l’objet de la question. Je ne puis même y réussir qu’en montrant comment elle est née.

On a souvent demandé d’où peut venir l’immense retentissement de l’ouvrage du docteur Strauss. Cette cause n’est point dans le style de l’écrivain. Ce langage triste, nu, géométrique, qui, pendant quinze cents pages, ne se déride pas un moment, ce n’est point là la manière d’un amateur de scandales. Quant à ses doctrines, il n’est pas, je crois, une de ses propositions les plus audacieuses qui n’ait été avancée, soutenue, débattue avant lui. Comment donc expliquer le prodigieux éclat d’un ouvrage qui semble fait de la dépouille de tous ? Je réponds que cet éclat vient précisément de ce que le système nouveau s’appuie sur tout ce qui l’a précédé, et que son manque d’originalité dans les détails est ce qui fait la puissance de l’ensemble. Si cet ouvrage eût paru être la pensée d’un seul

  1. Nous n’avons aucun mot simple pour exprimer sagen, traditions orales, populaires. Mythe, ce mot sur lequel toute la question repose, n’appartient à la langue française ni du XVIIe ni du XVIIIe siècle. Celui de figure, tel qu’il était employé par Fénelon, en matière de religion, est peut-être celui qui en approche le plus, surtout si l’on y joint l’idée d’une fiction irréfléchie, formée du concours de l’imagination de tous, et que ceux-là même qui l’ont conçue ont prise pour une réalité. Qui dit allégorie, au contraire, dit œuvre d’artifice. Ces nuances sont indispensables pour l’intelligence de ce qui suit.