Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/588

Cette page a été validée par deux contributeurs.
584
REVUE DES DEUX MONDES.

avaient la moindre prévoyance, toutes les autres conserveraient, pour la défensive, leur supériorité sur l’organisation imparfaite des troupes carlistes qu’elles ont à combattre. Le trésor du prétendant est encore plus pauvre que celui de la reine régente, et si le palais de Madrid a ses intrigues, la petite cour d’Oñate a bien aussi les siennes. Sous ce rapport, l’arrivée de la princesse de Beira en Espagne sera plus nuisible qu’avantageuse aux affaires de don Carlos. Cette femme ambitieuse, altière, passionnée, aura sa faction à elle dans le parti royaliste ; elle voudra commander, elle voudra imprimer le mouvement, et le faible don Carlos ne résistera point à un ascendant qu’il a toujours subi. L’influence de la princesse de Beira s’exercera probablement contre le parti des libertés provinciales, et si le nom de don Carlos ne suffisait pas pour annoncer à l’Espagne quel avenir lui préparerait une contre révolution, celui de la nouvelle épouse du prétendant caractérise mieux encore, aux yeux de toute la Péninsule, la question politique et sociale qui se débat, à travers tant de sanglantes vicissitudes, entre le gouvernement de la reine et les conseils que la sœur de don Miguel animera désormais de son esprit. Que la princesse de Beira soit en Navarre, ou qu’elle reçoive à Salzbourg les hommages de l’aristocratie autrichienne, peu importe au fond ; ce n’est pas une véritable force que le parti carliste acquiert par sa présence, et je suis étonné de tout le bruit qu’on en fait. Maroto, qui ne se hâte point de justifier son élévation au rang de généralissime, aurait mieux aimé, je lui fais l’honneur de le croire, quelques centaines de chevaux pour former une cavalerie et quelques millions pour payer ses hommes. Quant aux accusations contre le ministère français, dont le passage de la princesse de Beira en Espagne a été le prétexte, non-seulement elles ne sont pas fondées en ce qui concerne les intentions, ce que vous croirez sans peine, mais elles sont absurdes sur le reste. Tout homme de bonne foi, qui sait ce que c’est que la frontière des Pyrénées, qui connaît la hardiesse et les prodigieuses ressources des contrebandiers de ces montagnes, comprendra facilement qu’un jeune homme et une femme, prodiguant l’or à pleines mains, résignés à tous les déguisemens, à toutes les privations, à toutes les fatigues, à tous les gîtes, et servis par un dévouement fanatique, aient réussi à gagner le territoire espagnol. Les habiles gens qui en ont fait un crime au ministère y auraient perdu leur politique. Faut-il donc leur apprendre que l’histoire de tous les temps et de tous les pays est pleine de pareils évènemens, plus dangereux, plus importans pour la plupart, que le passage de la princesse de Beira en Espagne ? On ne citerait pas une révolution qui n’en offre de frappans exemples, et toutes les fois qu’il n’y aura pas de trahison, le succès de ces entreprises sera presque certain. La presse de l’opposition le sait, à coup sûr, aussi bien que vous et moi. Mais ne me demandez pas pourquoi elle accuse ainsi sans scrupule, à tort ou à raison. Que voulez-vous ? répondrait-elle ; il faut bien que je vive.


***

V. de Mars.