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lutions, même les plus justes, ont énormément perdu sur le capital nominal. Un tableau historique de la dépréciation des assignats depuis leur création jusqu’à leur suppression, qu’on trouve partout, est un document fort instructif à ce sujet, et je prends la liberté de le recommander à M. de Campuzano, afin qu’il grossisse de quelques zéros le chiffre de ses émissions de papier-monnaie, ce qui est indispensable et facile. Restera encore une petite difficulté. Ce sera de faire recevoir ce papier-monnaie pour de l’argent, à quelques conditions que ce soit. Mais une loi votée par des cortès complaisantes et surtout patriotes comme M. de Campuzano, et des émeutes populaires au besoin, avec leur accompagnement ordinaire, auront bientôt raison de toutes les résistances. Ainsi nous avons vu que l’Espagne avait une forte armée ; nous voyons maintenant qu’elle aura de l’argent, et elle fera de la propagande avec son argent, ce qui est une autre conséquence de la Vérité adressée aux cortès.

Oui, l’Espagne fera de la propagande ! il faut qu’elle en fasse, si ce n’est pour vaincre son ennemi dans le présent, au moins pour assurer son avenir et rendre son triomphe durable. Ici, monsieur, je vous l’avouerai, j’éprouve un certain embarras, car je suis obligé d’exprimer, au nom de mon pays, de l’opinion que je défends, quelque reconnaissance à M. de Campuzano. Avec l’argent que cet illustre diplomate a procuré à l’Espagne, il pourrait faire de la propagande en France, et cela semblerait d’autant plus naturel, qu’il reproche au roi des Français de manifester bien peu de sympathie pour la cause libérale, de s’être laissé détacher de la quadruple alliance par les insidieuses promesses de l’Autriche, d’abandonner la reine à son malheureux sort, et de voir sans frémir la contre-révolution menacer Madrid. Cependant nous reconnaissons que M. de Campuzano ne propose pas encore de bouleverser la France, d’inquiéter le roi Louis-Philippe sur son trône, de favoriser, avec l’argent de l’Espagne, la pétition pour la réforme électorale. C’est à l’Autriche qu’il en veut, c’est l’Italie qu’il veut révolutionner. À ses yeux, l’hostilité du cabinet de Vienne pour la cause constitutionnelle est la source de tous les maux qui affligent l’Espagne, principium et fons, et, en homme qui ne s’arrête pas à l’épiderme, qui sonde courageusement la profondeur de la plaie, il attaque le mal dans sa racine. Quand M. de Metternich et l’empereur François II, d’absolutiste mémoire, recevaient à Vienne les lettres de créance de M. de Campuzano, qui, escorté des souvenirs de l’ambassade de Lisbonne sous don Miguel, se présentait à la cour d’Autriche investi de la confiance de Ferdinand VII et d’un ministère fort peu libéral, qui avait surtout horreur de la propagande, ils ne se doutaient pas, assurément, des lumières que le nouvel ambassadeur venait puiser en Autriche pour l’affranchissement futur de l’Espagne et l’émancipation de l’Italie. Il eût été bien à regretter alors que M. de Campuzano eût laissé percer ses futurs sentimens révolutionnaires, et fourni ainsi à M. de Metternich la moindre objection contre son envoi à Vienne. Aussi ne voit-on pas qu’aucune indiscrétion de notre diplomate ait trahi, soit en Autriche, soit à Lisbonne, auprès de don Miguel, ce libéralisme ardent qui devait un jour laisser bien loin derrière lui