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vive. Un observateur qui vient d’explorer tout récemment les États Unis, une femme d’un esprit vigoureux et profond, miss Martineau, dans son excellent ouvrage de la Société américaine, après avoir examiné la conduite des hommes d’état, des orateurs et des fonctionnaires, arrive aux journaux, et les signalant comme les plus mauvais de tous ceux qui sont rédigés dans les pays libres, elle dit qu’elle ne sait ce dont il faut se plaindre le plus, ou de la propagation du mensonge ou de la suppression de la vérité. Ainsi les journaux du sud s’abstiennent d’insérer dans leurs colonnes les renseignemens qui pourraient éclairer, sur le véritable état de la société intérieure, leurs lecteurs immédiats ou éloignés. D’un autre côté, dit miss Martineau, les injures systématiques que les journaux d’un parti déversent sur les candidats de l’autre, sont cause que beaucoup d’hommes honorables, ayant à cœur le soin de leur réputation, n’osent pas entrer dans la vie publique, de sorte que la patrie est privée des services de plusieurs de ses plus dignes enfans. Il est vrai qu’un serviteur sincère du pays doit avoir le courage de subir toutes les conséquences de sa sincérité ; néanmoins il arrive souvent que des hommes, hésitant à choisir entre la vie publique et la vie privée, sont amenés, par cette seule circonstance, à se décider en faveur de la dernière. Miss Martineau nous montre, dans la plupart des villes, les journaux rédigés sous la tyrannie de l’opinion dominante, et n’osant ni la combattre, ni l’éclairer : elle s’adresse aux Américains pour leur dénoncer ce mal qui déchire la république, et leur dit que leurs journaux changeront quand ils voudront qu’ils changent. Toutes les fois que le grand nombre, ajoute-t-elle, exigera dans ses journaux la vérité et la justice, en répudiant le mensonge et la calomnie, il sera servi selon son désir.

Certes ce langage ne manque ni de franchise, ni même de dureté ; néanmoins accusera-t-on miss Martineau, Anglaise vraiment attachée aux principes du gouvernement représentatif, d’être l’ennemie de la liberté de la presse. Eh ! comment ne pas comprendre qu’on sert la presse, qu’on l’élève, en lui adressant des avis sincères, même en instituant, avec une partie de ses organes, de larges et vigoureuses polémiques. Qu’on y réfléchisse, s’il n’était pas permis de contredire les journaux, d’opposer à leurs préjugés, à leurs déclamations, à leurs calomnies, une vérité courageuse, il arriverait que le régime de la liberté de la presse aurait absolument le même résultat que le despotisme. Ce ne serait plus le cordon du sultan, mais la plume du journaliste, et dans le pays qui se dit le plus spirituel du