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tères de la spiritualité. D’ailleurs la terre s’étendait pour l’homme par des découvertes, à mesure que la pensée croissait en audace ; c’était une émulation de grandeur entre l’esprit et la matière. Charles-Quint n’a pas moins que Luther servi les progrès de l’Europe. Nous n’ignorons pas son despotisme, la manière violente dont il se mit à assaillir les libertés municipales de la vieille Espagne, le monopole qu’il établit pour les métiers, pour le commerce, et les hérésies que peut lui reprocher l’économie politique ; mais il a eu le mérite de provoquer puissamment la conscience de la solidarité européenne, par de vives agressions qui semblaient dénoter une ambition systématique. Aspirer à la monarchie universelle, c’était donner aux peuples une première leçon d’association. D’ailleurs, l’esprit de la réforme contrebalançait les excès du père de Philippe II, répandait dans des centres puissans, en Hollande, en Angleterre, dans l’Allemagne protestante, le goût du travail, et multipliait ainsi la production et la richesse. Pendant le XVIIe siècle, le génie politique règne presque seul, car l’esprit théologique a commencé de s’éclipser, et l’esprit philosophique n’a pas encore lui. Colbert, Pussort, Lionne, Louvois, sont les points lumineux d’une pléiade d’hommes d’état, d’administrateurs, de diplomates. Que de développemens dans la carrière des affaires, dans la législation du commerce, dans l’organisation administrative, dans l’état économique de la France ! Au XVIIe siècle, autre spectacle : une division du travail s’opère, pour ainsi dire, entre ceux qui s’occupent de politique et de sociabilité. À côté des praticiens et des hommes d’état, spéculent les économistes et les philosophes ; ces deux grandes écoles se partagent la réalité, et montrent comment il faut cultiver, la première le sol, et l’autre l’esprit. Turgot passe rapidement au ministère pour tenter des réformes par l’union combinée de ces deux belles tendances ; mais il cède la place aux flots d’une révolution.

Cinquante ans nous séparent des peines de nos pères, et cette division du travail dont nous parlions tout à l’heure s’est évanouie, semblable à ces charpentes qu’on fait disparaître quand l’édifice est construit. Aujourd’hui la théorie et la pratique doivent s’étreindre intimement. Les théoriciens impérieux qui avaient tenté de nos jours d’asservir la réalité à leurs spéculations, n’ont pas montré moins d’impuissance que de génie, et les idées vraies qu’ils ont laissées ont dû prendre le chemin de la pratique et du possible pour trouver une application. La société contemporaine a le sentiment de ses imperfections, des plaies qu’elle doit chercher à guérir, et si elle est loin