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rien moins que l’intervention du roi protestant, pour empêcher le curé catholique d’Alsemberg de vendre la chaire gothique de son église à un Anglais. À Alne, abbaye fondée par saint Bernard, sur les bords de la Sambre, il existe encore la plus grande partie de la maison et une moitié environ de l’église, qui datent de l’époque même du fondateur. Croirait-on que ce sont les anciens religieux eux-mêmes, qui, ayant racheté ces ruines, les vendent par charretées ! À Sainte-Gudule même, dont la restauration se fait, en général, avec beaucoup de zèle et de goût, il faut cependant dénoncer l’architecte qui a trouvé bon de faire arracher un grand nombre de consoles richement sculptées sur les tours de la façade, sous prétexte que ces consoles sans statues ne signifiaient rien. Quant au règne du badigeon, il est encore bien plus universel et plus solidement établi qu’en France. Je ne crois pas qu’à l’exception de Sainte-Wandru de Mons, il y ait une seule église de Belgique, grande ou petite, qui ne soit pas périodiquement radoubée et mastiquée d’une pâte impitoyablement épaisse ; il en résulte que la sculpture, si florissante au moyen-âge en Belgique, est comme annulée partout où il s’en trouve quelques monumens dans les églises : comment reconnaître non-seulement l’expression, mais jusqu’aux premières formes d’une figure qui est recouverte d’au moins dix couches successives de plâtre ? On ne se figure pas le changement que subiraient toutes les églises belges, si quelque chimiste tout-puissant trouvait le moyen de les dégager de cette enveloppe déjà séculaire, et de les rendre à leur légèreté primitive. Il n’y a pas jusqu’au délicieux jubé de Louvain, dont la transparence ne soit interceptée autant que possible par un voile écailleux. Seulement au lieu du beurre frais et de l’ocre, usités en France, c’est le blanc qui est universellement adopté en Belgique, un blanc vif, luisant, éblouissant, dont on ne se fait pas une idée avant de l’avoir vu. On sort de là comme d’un moulin, avec la crainte d’être soi-même blanchi. Puis si on jette un regard en arrière sur l’édifice, on se croit encore poursuivi par la brosse fatale, car, par un raffinement barbare, ce n’est pas seulement l’intérieur qui est métamorphosé en banc de craie, ce sont encore les porches, les portails, tout ce qui peut se relever sur la couleur sombre des pierres extérieures, et jusqu’aux meneaux et aux archivoltes de toutes les fenêtres, qui sont passés au blanc par dehors, comme pour avertir le passant du sort qui l’attend au dedans. Je n’ai vu nulle part le moindre germe de réforme sur ce point.

Pour en revenir à notre France, et pour qu’on ne me reproche pas de parler si long-temps sans indiquer un remède, je finirai en insistant sur la nécessité de régulariser et de fortifier l’action de l’inspecteur-général des monumens historiques, et celle de la commission qui délibère sur ses propositions au ministère de l’intérieur : une loi, ou au moins une ordonnance royale, est urgente pour leur donner un droit d’intervention légale et immédiate dans les décisions des municipalités et des conseils de fabrique. J’ai déjà cité la loi belge à ce sujet ; en Prusse, il y a un édit royal qui interdit strictement la destruction de tout édifice quelconque revêtu d’un caractère