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et deux de ses plus anciennes cathédrales. Le règne de la maison d’Orange fut aussi une époque de dévastation et d’abandon systématique. Je ne veux en citer que deux traits. À l’époque où le roi Guillaume Ier mettait en vente à son profit pour 94 millions de domaines nationaux belges, et où il livrait à la hache d’impitoyables spéculateurs cette forêt de Soigne, la plus belle de l’Europe occidentale, l’ornement de Bruxelles et du pays tout entier, ce prince éclairé crut faire une bonne affaire en faisant vendre aux enchères l’ancien château de Vianden, dans le Luxembourg, édifice immense et admirable, sur un rocher qui domine l’Our, parfaitement conservé et habité[1], et qui devait en outre avoir, à ses yeux, le mérite d’avoir été la première possession de la maison de Nassau dans les Pays-Bas[2]. Il fut adjugé pour six mille francs à un entrepreneur, qui en enleva les plombs, les bois, et le rendit par là aussi inhabitable que possible, jusqu’à ce que le roi, éveillé par les clameurs que faisait pousser cet acte de vandalisme inoui, racheta les ruines du château de ses pères moyennant 3,000 francs. C’étaient toujours 1,000 écus de profit, et une gloire de moins pour sa couronne et pour le pays ; et cependant voilà ce qu’on appelait une restauration ! Ces ruines, dans leur état actuel, sont, de l’avis unanime des voyageurs, plus vastes et mieux conservées que tout ce qu’on voit de ce genre sur les bords du Rhin ; qu’on juge du prix qu’avait un pareil monument dans son intégrité. Sous ce même règne, en 1822, on voyait encore, à quatre lieues de Bruxelles, l’immense abbaye des Prémontrés de Ninove. Ses quatre façades offraient un vaste ensemble d’architecture classique, dans les proportions les plus imposantes et les plus régulières ; sa reconstruction, en 1718, avait coûté 3,500,000 francs. En 1822, elle était dans un état de conservation parfaite, et on la mettait en vente pour 80,000 francs. La province de Flandre-Orientale voulut en faire l’acquisition pour l’offrir comme château au prince d’Orange, qui faisait alors bâtir à Bruxelles un palais dont toute l’étendue n’égale pas une seule des quatre façades de Ninove ; mais le roi refusa cette offre. Il n’eut pas davantage l’idée d’utiliser cet immense édifice, si voisin de sa capitale, pour en faire un hospice, un collége, ou une caserne ; et l’adjudication définitive eut lieu le 15 janvier, après l’affiche suivante, que nous croyons devoir transcrire comme une curieuse pièce justificative de la future histoire du vandalisme : « Cette abbaye, dont la construction a coûté plus de 1,500,000 florins avant la révolution, offre, sous le rapport de la démolition, des avantages immenses. Tous les matériaux en sont de la plus grande beauté : le fer, le plomb, les ardoises fortes, les grès, le marbre, n’y ont pas été épargnés ; la charpente en est énorme ; aucune planche n’a été clouée. Pour le transport, la Dendre offre un moyen facile. Les fortifications de Termonde, les travaux à Bruxelles, etc., assurent le débit avantageux des matériaux. En un mot,

  1. Le roi l’avait repris à M. de Marbeuf, qui l’avait reçu en dotation de Napoléon, et qui l’entretenait fort bien.
  2. En 1340, Marguerite de Spanheim, héritière du comte de Vianden, l’apporta en dot à Othon, comte de Nassau.