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des hommes qui, au lieu d’être les dépositaires de la religion, n’auraient pour but que de l’exposer à la risée des gens instruits et aux fausses interprétations des ignorans. — Terminons cette série par un dernier trait de ce genre : à Saint-Guilhem, entre Montpellier et Lodève, il y a une église bâtie, selon la tradition, par Charlemagne, et dont l’autel a été donné par saint Grégoire VII ; cet autel a été arraché, relégué dans un coin, par le curé qui y a substitué un autel en bois peint, oubliant sans doute qu’il outrageait ainsi les deux plus grands noms du moyen-âge catholique, Charlemagne et Grégoire VII !

Quand on a ainsi disposé de la partie mobilière, il reste l’immeuble, que l’on s’évertue le mieux que l’on peut à revêtir d’un déguisement moderne. Quelle est l’église de France qui ne porte les traces de ces anachronismes trop souvent irréparables ? Hélas ! il n’y en a littéralement pas une seule. Là où la pioche et la râpe n’ont pas labouré ces saintes pierres, l’ignoble badigeon les a toujours souillées. Qu’ils parlent, ceux qui ont eu le bonheur de voir une de nos cathédrales du premier ordre, Chartres, par exemple, il y a quelque dix ans, avant qu’elle ne fût jaunie de cet ocre blafard que l’évêque a mis tant de zèle à obtenir, et qu’ils nous disent, si la parole leur suffit pour cela, tout ce qu’une église peut perdre en grandeur, en majesté, en sainteté, à ce sot travestissement ! Statues, bas-reliefs, chapiteaux, rinceaux, fresques, pierres tombales, épitaphes, inscriptions pieuses, rien n’est épargné : il faut que tout y passe ; il faut cacher tout ce qui peut rappeler les siècles de foi et d’enthousiasme religieux, ou du moins rendre méconnaissable ce qu’on ne peut complètement anéantir. D’où il résultera cet autre avantage, que les murs de l’église seront plus éclatans que le jour qui doit pénétrer par les fenêtres, même quand celles-ci seront dégarnies de leurs vitraux, et que par conséquent les conducteurs naturels de la lumière auront l’air de lui faire obstacle. Faire l’histoire des ravages du badigeon, ce serait faire la statistique ecclésiastique de la France ; je me borne à invoquer la vengeance de la publicité contre les derniers attentats qui sont parvenus à ma connaissance. À Coutances, dans cette fameuse cathédrale qui a si long-temps occupé les archéologues, le dernier évêque a fait peindre en jaune les deux collatéraux et la nef du milieu en blanc, en même temps qu’il écrasait l’un des transsepts sous la masse informe d’un autel dédié à saint Pierre, parce qu’il s’appelait Pierre. À Boury, village près Gisors, le curé a trouvé bon de donner à sa vieille église le costume suivant : les gros murs en bleu, les colonnes en rose, le tout relevé par des plinthes et des corniches en jaune. À Laon, l’église romane de la fameuse abbaye de Saint-Martin a été badigeonnée en ocre des pieds à la tête, par son curé, et dans la cathédrale, cette charmante chapelle de la Vierge qui a germé comme une fleur sur les lignes sévères du transsept septentrional, a été recouverte d’un jaune épais, et ornée d’une série d’arcades à rez-terre, en vert-marbré, relevées par des colonnes oranges ; cette mascarade est due à un ecclésiastique de la paroisse, et il n’y a de plus affreux que la longue balustrade qui coupe par le milieu l’extrémité carrée du chœur, et qui est