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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

dont on paraissait leur frayer les voies ? Si telle fut la pensée du noble fils du duc de Belfort et de l’aristocrate lord Grey, les faits attestent que leurs prévisions n’ont pas été déçues, et que le ministère, eût-il été plus loin encore, l’aristocratie anglaise aurait survécu à ce coup, qu’elle affectait de croire mortel. Aussi chaleureusement dévoué aux prérogatives héréditaires de son ordre qu’à ses vieux principes de liberté, lord Grey comprit mieux que cet ordre lui-même tout ce qu’il possédait de puissance et de ressources ; il eut le mérite, bien rare dans des jours d’effervescence, de paraître accorder une immense concession, sans dépasser le but qu’il se proposait d’atteindre.

Le sort de ce bill est connu ; il échoua devant cette même chambre des communes, dont le premier acte avait été le renvoi du ministère Wellington et l’appel de lord Grey aux affaires ; tant il est vrai que la proposition Russell dépassait les vues d’un grand nombre de membres étrangers au torysme et favorables à une réforme modérée !

Lord Grey, lord Brougham, lord Althorp et lord Russel n’en restaient pas moins les hommes indispensables dans une situation de plus en plus alarmante, et des élections soutenues par toute la force de la couronne en même temps que par les menaces d’un peuple plus d’à moitié soulevé, assurèrent enfin au bill une majorité de 324 contre 162 voix.

Cependant la pairie eut encore le courage ou l’audace de résister aux nécessités qui la pressaient de toutes parts ; elle ne recula ni devant les flammes de Bristol et de Nottingham, ni devant une insurrection déjà commencée sur plusieurs points du royaume. Mais, lorsque lord Grey eut arraché de la couronne, par la menace d’une démission, la faculté de créer un nombre illimité de pairs, la chambre haute, se déclarant solennellement privée de sa liberté morale par l’attentat dont elle était menacée, cessa une lutte inutile et abandonna le champ de bataille.

Ainsi passa cette mesure dont l’aristocratie s’exagérait sans doute la portée, parce qu’elle la jugea d’abord sur la hardie nouveauté de ses principes, mais avec laquelle elle sembla se réconcilier graduellement, à mesure qu’elle pénétra ce que ses dispositions laissaient de ressources à son influence, ce qu’elles lui en créaient même de nouvelles.

D’une part, en effet, l’aristocratie restait maîtresse des élections de comté, surtout par l’amendement qui concédait la franchise aux fermiers sans baux (tenants at will) ; de l’autre, les innombrables liens qui lui rattachent les populations urbaines, la mirent bientôt en me-