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mais Gaston n’y prenait pas garde. Comment un jeune homme hardi, fier, habitué aux plaisirs bruyans et à la vie de garnison, aurait-il remarqué ce manège enfantin ? Les grisettes de Strasbourg s’y prennent d’autre manière lorsqu’elles ont un caprice en tête. Gaston dînait avec sa mère, puis sortait pour toute la soirée, et comme Margot ne pouvait dormir qu’il ne fût rentré, elle l’attendait derrière son rideau. Il arriva bien quelquefois que le jeune homme, voyant de la lumière chez elle, se dit, en traversant la cour : « Pourquoi cette petite fille n’est-elle pas couchée ? » Il arriva encore qu’en faisant sa toilette, il jeta sur Margot un coup d’œil distrait qui la pénétrait jusqu’à l’âme, mais elle détournait la tête aussitôt, et elle serait plutôt morte que d’oser soutenir ce regard. Il faut dire aussi qu’au salon elle ne se montrait plus la même. Assise auprès de sa marraine, elle s’étudiait à paraître grave, réservée, et à écouter décemment le babillage de Mme Doradour. Quand Gaston lui adressait la parole, elle lui répondait de son mieux ; mais, ce qui semblera singulier, elle lui répondait presque sans émotion. Expliquera qui pourra ce qui se passe dans une cervelle de quinze ans ; l’amour de Margot était, pour ainsi dire, enfermé dans sa chambre ; elle le retrouvait dès qu’elle y entrait, et elle l’y laissait en sortant ; mais elle ôtait la clef de sa porte, pour que personne ne put, en son absence, profaner son petit sanctuaire.

Il est facile, du reste, de supposer que la présence de Mme Doradour devait la rendre circonspecte et l’obliger à réfléchir, car cette présence lui rappelait sans cesse la distance qui la séparait de Gaston. Une autre que Margot s’en serait peut-être désespérée ou plutôt se serait guérie, voyant le danger de sa passion, mais Margot ne s’était jamais demandé, même dans le plus profond de son cœur, à quoi lui servirait son amour ; et, en effet, y a-t-il une question plus vide de sens que celle-là, qu’on adresse continuellement aux amoureux : À quoi cela vous mènera-t-il ? — Eh ! bonnes gens, cela me mène à aimer.

Dès que Margot s’éveillait, elle sautait à bas de son lit, et elle courait, pieds nus, en cornette, écarter le coin de son rideau, pour voir si Gaston avait ouvert ses jalousies. Si les jalousies étaient fermées, elle allait vite se recoucher, et elle guettait l’instant où elle entendrait le bruit de l’espagnolette, auquel elle ne se trompait pas. Cet instant venu, elle mettait ses pantoufles et sa robe de chambre, ouvrait à son tour sa croisée, et penchait la tête de côté et d’autre d’un air endormi, comme pour regarder quel temps il faisait. Elle