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MARGOT.

et que celle du jeune homme y fût aussi, c’est-à-dire que leurs deux croisées étaient presque en face l’une de l’autre, et en même temps fort rapprochées. Margot dînait avec Mme Doradour, et passait près d’elle l’après-midi jusqu’au souper ; mais, de sept heures du matin jusqu’à midi, elle restait dans sa chambre. Or, Gaston, la plupart du temps, était dans la sienne à cette heure-là. Margot n’avait donc rien de mieux à faire que de coudre près de la croisée et de regarder son voisin.

Le voisinage a de tout temps causé de grands malheurs ; il n’y a rien de si dangereux qu’une jolie voisine ; fût-elle laide, je ne m’y fierais pas, car, à force de la voir sans cesse, il arrive tôt ou tard un jour où l’on finit par la trouver jolie. Gaston avait un petit miroir rond accroché à sa fenêtre, selon la coutume des garçons. Devant ce miroir, il se rasait, se peignait, et mettait sa cravate. Margot remarqua qu’il avait de beaux cheveux blonds qui frisaient naturellement ; cela fut cause qu’elle acheta d’abord un flacon d’huile à la violette, et qu’elle prit soin que les deux petits bandeaux de cheveux noirs qui sortaient de son bonnet fussent toujours bien lisses et bien brillans. Elle s’aperçut ensuite que Gaston avait de jolies cravates et qu’il les changeait fort souvent ; elle fit emplette d’une douzaine de foulards, les plus beaux qu’il y eût dans tout le Marais. Gaston avait, en outre, cette habitude qui indignait si fort le philosophe de Genève, et qui le brouilla avec son ami Grimm ; il se faisait les ongles, comme dit Rousseau, avec un instrument fait exprès. Margot n’était pas un si grand philosophe que Rousseau ; au lieu de s’indigner, elle acheta une brosse, et, pour cacher sa main qui était un peu rouge, comme je l’ai déjà dit, elle prit des mitaines noires qui ne laissaient voir que le bout de ses doigts. Gaston avait encore bien d’autres belles choses que Margot ne pouvait imiter, par exemple, un pantalon rouge et une veste bleu de ciel avec des tresses noires. Margot possédait, il est vrai, une robe de chambre de flanelle écarlate ; mais que répondre à la veste bleue ? Elle prétendit avoir mal à l’oreille, et elle se fit, pour le matin, une petite toque de velours bleu. Ayant aperçu au chevet de Gaston le portrait de Napoléon, elle voulut avoir celui de Joséphine. Enfin, Gaston ayant dit un jour, à déjeuner, qu’il aimait assez une bonne omelette, Margot vainquit sa timidité et fit un acte de courage ; elle déclara que personne au monde ne savait faire les omelettes comme elle, que, chez ses parens, elle les faisait toujours, et qu’elle suppliait sa marraine d’en goûter une de sa main.

Ainsi tâchait la pauvre enfant de témoigner son modeste amour,