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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

un chiffre annuel de deux milliards. Mais cette extension des intérêts industriels n’enfanta rien d’analogue à cette puissante opinion française qui, après son opposition de quinze années, s’est, à la suite de 1830, posée en face du peuple, assez forte pour réclamer et pour se conserver à elle-même le monopole des droits politiques.

Quoique la proportion, chaque jour plus élevée, de la population manufacturière, relativement à la population agricole, expose la société anglaise à des dangers graves, en ce sens qu’elle fait dépendre sa sûreté de chances de travail et d’alimentation fort incertaines[1], il faut reconnaître que l’augmentation du capital mobilier, dans la Grande-Bretagne, n’a guère entamé, jusqu’à présent, l’influence de l’élément territorial ; et il est trop manifeste que si une lutte s’engageait en ce moment entre l’aristocratie, maîtresse exclusive du sol, et la population toujours croissante des ateliers et des work-houses, la bourgeoisie ne serait encore en mesure ni de se porter héritière de l’une, ni de contenir les violences de l’autre.

La faculté d’absorption dont est douée l’aristocratie britannique, agit incessamment sur tout ce qui s’élève. En ouvrant ses rangs aux fortunes nouvelles, en leur prêtant un lustre que les mœurs publiques les invitent à réclamer, cette aristocratie empêche qu’aucun faisceau ne se forme en dehors d’elle. Grand industriel à la première génération, membre des communes ou d’une cour de justice à la seconde, souvent pair d’Angleterre à la fin d’une vie honorée ; cette gradation est acceptée de tous dans ce pays de classifications rigoureuses. La simple lecture du Peerage fait voir, en effet, qu’ainsi se recrute cet ordre si puissant par l’unité de son esprit, où vous voyez lord Brougham, lord Lyndhurst, lord Cottenham, pour ne citer que les chanceliers des trois derniers ministères, hommes nouveaux, assis la veille au banc des avocats ou des juges, marcher en tête du petit

  1. Les tableaux dressés par M. Porter établissent la diminution progressive, depuis vingt ans, du nombre des individus appartenant à la population agricole. À partir de 1811 jusqu’à 1831, la proportion centésimale des familles de cette classe est tombée de 35 à 28. Pendant que l’augmentation totale des familles a suivi la progression de 34 pour 400, celle des familles agricoles n’a été que de 7 1/2, et, au contraire, celle des familles appartenant au commerce et aux manufactures, a été de 27 pour 400.

    M. Ch. Dupin a aussi constaté ce résultat d’après les calculs de M. Babbage ; on le trouve également constaté par M. Moreau de Jonnès, dans son excellente Statistique de la Grande-Bretagne et d’Irlande. Il résulte de ses chiffres que, de 1811 à 1821, la population agricole s’est augmentée de 82,658, mais qu’elle a perdu 77,552 dans les dix années suivantes, et que, même dans ses progrès, n’ayant pas suivi ceux de la population totale, elle s’est trouvée constamment en déclin pendant les vingt années écoulées entre 1811 et 1831. (Tom. ier, chap. III, sec. 2.)