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SPIRIDION.

des imprécations mêlées à des huées leur répondaient du haut des galeries. Pendant ces abominations, la foule prosternée dans l’église se tenait immobile dans l’attitude de la méditation et du recueillement.

Alors un des bourreaux s’approcha tout sanglant de la balustrade qui sépare le chœur de la nef, et dit à ces hommes agenouillés :

— Ames chrétiennes, fidèles fervens et purs, ô mes frères bien-aimés, priez ! redoublez de supplications et de larmes, afin que le miracle s’accomplisse et que vous puissiez manger la chair et boire le sang du Christ, votre divin Sauveur. — Et les fidèles se mirent à prier à voix basse, à se frapper la poitrine, et à répandre la cendre sur leurs fronts, tandis que les bourreaux continuaient à torturer leur proie, et que la victime murmurait en pleurant ces mots souvent répétés : — Ô mon Dieu ! relève ces victimes de l’ignorance et de l’imposture ! — Il me semblait qu’un écho de la voûte, tel qu’une voix mystérieuse, apportait ces plaintes à mon oreille. Mais j’étais tellement glacé par la peur, qu’au lieu de lui répondre et d’élever ma voix contre les bourreaux, je n’étais occupé qu’à épier les mouvemens de ceux qui m’environnaient, dans la crainte qu’ils ne tournassent leur rage contre moi en voyant que je n’étais pas un des leurs.

Puis j’essayais de me réveiller, et pendant quelques secondes mon imagination me reportait à des scènes riantes. Je me voyais assis dans ma cellule, par une belle matinée, entouré de mes livres favoris ; mais un nouveau soupir de la victime m’arrachait à cette douce vision, et de nouveau je me retrouvais en face d’une interminable agonie et d’infatigables bourreaux. Je regardais le patient, et il me semblait qu’il se transformait à chaque instant. Ce n’était plus le Christ, c’était Abeilard, et puis Jean Huss, et puis Luther… Je m’arrachais encore à ce spectacle d’horreur, et il me semblait que je revoyais la clarté du jour, et que je fuyais léger et rapide au milieu d’une riante campagne. Mais un rire féroce, parti d’auprès de moi, me tirait en sursaut de cette douce illusion, et j’apercevais Spiridion dans le cercueil, aux prises avec les infâmes qui broyaient son cœur dans sa poitrine sans pouvoir s’en emparer. Puis ce n’était plus Spiridion, c’était le vieux Fulgence, et il appelait vers moi, en disant : — Alexis ! mon fils Alexis ! vas-tu donc me laisser périr ?

Il n’eut pas plus tôt prononcé mon nom, que je vis à sa place, dans le cercueil, ma propre figure, le sein entr’ouvert, le cœur déchiré par des ongles et des tenailles. Cependant j’étais toujours dans la travée, caché derrière la balustrade, et contemplant un autre moi-même dans les angoisses de l’agonie. Alors je me sentis défaillir, mon sang