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squelette, et à toucher ces ossemens que mon imagination revêtait, depuis six années, d’une forme céleste, et que ma raison allait restituer à l’éternel néant en les contemplant avec calme.

J’arrivai à la pierre du hic est, je la levai sans beaucoup de peine, et je commençai à descendre l’escalier ; je me souvenais qu’il avait douze marches. Mais je n’en avais pas descendu six que ma tête était déjà égarée. J’ignore ce qui se passait en moi : si je ne l’avais éprouvé, je ne pourrais jamais croire que le courage de la vanité puisse couvrir tant de faiblesse et de lâche terreur. Le froid de la fièvre me saisit, la peur fit claquer mes dents ; je laissai tomber ma lampe ; je sentis que mes jambes pliaient sous moi.

Un esprit sincère n’eût pas cherché à surmonter cette détresse. Il se fût abstenu de poursuivre une épreuve au-dessus de ses forces ; il eût remis son entreprise à un moment plus favorable ; il eût attendu avec patience et simplicité le rassérénement de ses facultés mentales. Mais je ne voulais pas avoir le démenti vis-à-vis de moi-même. J’étais indigné de ma faiblesse ; ma volonté voulait briser et réduire mon imagination. Je continuai à descendre dans les ténèbres ; mais je perdis l’esprit, et devins la proie des illusions et des fantômes.

Il me sembla que je descendais toujours et que je m’enfonçais dans les profondeurs de l’Érèbe. Enfin, j’arrivai lentement à un endroit uni, et j’entendis une voix lugubre prononcer ces mots qu’elle semblait confier aux entrailles de la terre :

Il ne remontera pas l’escalier.

Aussitôt j’entendis s’élever vers moi, du fond d’abîmes invisibles, mille voix formidables qui chantaient sur un rhythme bizarre : Détruisons-le ! Qu’il soit détruit ! Que vient-il faire parmi les morts ? Qu’il soit rendu à la souffrance ! qu’il soit rendu à la vie !

Alors une faible lueur perça les ténèbres, et je vis que j’étais sur la dernière marche d’un escalier aussi vaste que le pied d’une montagne. Derrière moi, il y avait des milliers de degrés de fer rouge ; devant moi, rien que le vide, l’abîme de l’éther, le bleu sombre de la nuit sous mes pieds comme au-dessus de ma tête. Je fus pris de vertige, et, quittant l’escalier, ne songeant plus qu’il me fût possible de le remonter, je m’élançai dans le vide en blasphémant. Mais à peine eus-je prononcé la formule de malédiction, que le vide se remplit de formes et de couleurs confuses, et peu à peu je me vis de plain pied avec une immense galerie où je m’avançai en tremblant. L’obscurité régnait encore autour de moi ; mais le fond de la voûte s’éclairait d’une lueur rouge, et me montrait les formes étranges et