Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/469

Cette page a été validée par deux contributeurs.
465
SPIRIDION.

être me tourmenter, et peut-être mourrai-je en invoquant Jésus, comme ont fait plusieurs malheureux philosophes, en qui de semblables maladies d’esprit expliquent et révèlent la misère humaine aux prises avec la lumière céleste !

Livré à ces pensées douloureuses, je m’endormis fort agité, craignant d’être encore la dupe de quelque songe, et m’en effrayant d’autant plus que ma raison m’en démontrait les causes et les conséquences.

Je fis alors un rêve étrange. Je m’imaginai être revenu au temps de mon noviciat. Je me voyais vêtu de la robe de laine blanche, un léger duvet couvrait à peine mon menton, je me promenais avec mes jeunes compagnons, et Donatien, parmi nous, recueillait nos suffrages pour son élection. Je lui donnai ma voix comme les autres, avec insouciance, pour éviter les persécutions. Alors il se retira en nous lançant un regard de triomphe méprisant, et nous vîmes approcher de nous un homme jeune et beau, que nous reconnûmes tous pour l’original du portrait de la grande salle. Mais, ainsi qu’il arrive dans les rêves, notre surprise fut bientôt oubliée. Nous acceptâmes comme une chose possible et certaine qu’il eût vécu jusqu’à cette heure, et même quelques-uns de nous disaient l’avoir toujours connu. Pour moi, j’en avais un souvenir confus, et, soit habitude, soit sympathie, je m’approchai de lui avec affection. Mais il nous repoussa avec indignation. — Malheureux enfans ! nous dit-il d’une voix pleine de charme et de mélodie jusque dans la colère, est-il possible que vous veniez m’embrasser après la lâcheté que vous venez de commettre ? Eh quoi ! êtes-vous descendus à ce point d’égoïsme et d’abrutissement que vous choisissiez pour chef, non le plus vertueux ni le plus capable, mais celui de tous que vous savez le plus tolérant à l’égard du vice et le plus insensible à l’endroit de la générosité ? Est-ce ainsi que vous observez mes statuts ? Est-ce là l’esprit que j’ai cherché à laisser parmi vous ? Est-ce ainsi que je vous retrouve, après vous avoir quittés quelque temps ? — Alors il s’adressa à moi en particulier, et, me montrant aux autres : — Voici, dit-il, le plus coupable d’entre vous ; car celui-là est déjà un homme par l’esprit, et il connaît le mal qu’il fait. C’est lui dont l’exemple vous entraîne, parce que vous le savez rempli d’instruction et nourri de sagesse. Vous l’estimez tous, mais il s’estime encore plus lui-même. Méfiez-vous de lui, c’est un orgueilleux, et l’orgueil l’a rendu sourd à la voix de sa conscience. — Et comme j’étais triste et rempli de honte, il me gourmanda fortement, mais en prenant mes mains avec une effusion de