Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/453

Cette page a été validée par deux contributeurs.
449
SPIRIDION.

tous, dans la bibliothèque située au bout de la grande salle. J’avais d’abord éprouvé beaucoup de répugnance à m’emparer furtivement de ce fruit défendu ; mais bientôt l’amour de l’étude avait été plus fort que tous les scrupules de la franchise et de la fierté. J’étais descendu à toutes les ruses nécessaires ; j’avais fabriqué moi-même une fausse clé, car la serrure que j’avais brisée avait été réparée sans qu’on sût à qui en imputer l’effraction. Je me glissais la nuit jusqu’au sanctuaire de la science, et chaque semaine je renouvelais ma provision de livres, sans éveiller ni l’attention, ni les soupçons, du moins à ce qu’il me semblait. J’avais soin de cacher mes richesses dans la paille de ma couche, et je lisais toute la nuit. Je m’étais habitué à dormir à genoux, dans l’église ; et pendant les offices du matin, prosterné dans ma stalle, enveloppé de mon capuchon, je réparais les fatigues de la veille par un sommeil léger et fréquemment interrompu. Cependant, comme ma santé s’affaiblissait visiblement par ce régime, je trouvai le moyen de lire à l’église même, durant les offices. Je me procurai une grande couverture de missel que j’adaptais à mes livres profanes, et, tandis que je semblais absorbé par le bréviaire, je me livrais avec sécurité à mes études favorites.

Malgré toutes ces précautions, je fus soupçonné, surveillé, et bientôt découvert. Une nuit que j’avais pénétré dans la bibliothèque, j’entendis marcher dans la grande salle du chapitre. Aussitôt j’éteignis ma lampe, et je me tins immobile, espérant qu’on n’était point sur ma trace, et que j’échapperais à l’attention du surveillant qui faisait cette ronde inusitée. Les pas se rapprochèrent, et j’entendis une main se poser sur ma clé que j’avais imprudemment laissée en dehors. On retira cette clé après avoir fermé la porte sur moi à double tour ; on replaça les grosses barres de fer que j’avais enlevées ; et quand on m’eut ôté tout moyen d’évasion, on s’éloigna lentement. Je me trouvai seul dans les ténèbres, captif, et à la merci de mes ennemis.

La nuit me sembla insupportablement longue, car l’inquiétude, la contrariété, et le froid qui était alors très vif, m’empêchèrent de goûter un instant de repos. J’eus un grand dépit d’avoir éteint ma lampe, car j’aurais pu du moins utiliser par la lecture cette nuit malencontreuse. Les craintes qu’un tel évènement devait m’inspirer n’étaient pourtant pas très vives. Je me flattais de n’avoir pas été vu par celui qui m’avait enfermé. Je me disais que peut-être il l’avait fait sans mauvaise intention, et sans se douter qu’il y eût quelqu’un dans la bibliothèque ; que c’était peut-être le convers de semaine