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REVUE LITTÉRAIRE.

Chaque province, chaque cité retrouvera ainsi, par le souvenir, son existence propre, ses mœurs, sa langue, et jusqu’à ses haines et ses affections.

Aujourd’hui, en nous reportant vers le passé, nous ne nous préservons point assez des préoccupations du présent, et nous sommes presque tentés de sourire en songeant que pour émouvoir fortement nos ancêtres, il a suffi de la bulle d’un pape ou de la charte d’un baron. Et pourtant, les contestations qui s’élevaient de monastère à monastère, la lutte qui s’engageait entre le seigneur et ses paysans, pour un four banal, un moulin, un péage, les combats qu’on livrait dans l’intérieur des villes à un comte ou à ses officiers, afin d’obtenir des priviléges et des franchises, étaient pour les hommes du moyen-âge de graves affaires et des évènemens mémorables. Mais ce n’est point tout encore : l’histoire des localités n’a pas seulement pour but de satisfaire une vaine curiosité, de répondre à de vagues sympathies ; elle doit avoir un résultat plus élevé, celui de jeter sur l’histoire générale de nouvelles lumières. Les bénédictins ne négligeaient pas les histoires particulières, et les immenses travaux de Félibien, de Lobineau, de Morice, de Calmet et de Vaissette, sont devenus le complément indispensable des grandes collections consacrées à l’histoire générale de la France. On ne saurait donc trop encourager les hommes qui se dévouent avec persévérance à ces longues, mais souvent aussi à ces pénibles études. Le livre de M. Massiou est à tous égards digne du succès, même en dehors de l’Aunis et de la Saintonge ; c’est que l’auteur sait beaucoup et raconte bien, et que de plus l’Aunis et la Saintonge ont été le théâtre d’évènemens importans pour la France entière.

M. Massiou a divisé son histoire en plusieurs parties distinctes. Les quatre volumes publiés embrassent les deuxième et troisième périodes, et contiennent tous les évènemens qui se rattachent, de près ou de loin, à l’histoire de l’Aunis et de la Saintonge, depuis le mariage d’Éléonore de Guienne jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes. M. Massiou qui a réservé, pour l’introduction de son long ouvrage, tous les faits antérieurs au second mariage d’Éléonore, s’est aussi proposé de poursuivre son histoire depuis 1685 jusqu’à nos jours. Nous examinerons ces volumes dès qu’ils auront paru.

L’année 1152 est mémorable pour la France. Ce fut alors qu’après un scandaleux divorce, la fille des anciens chefs du midi porta en dot à Henri Plantagenet le riche héritage des provinces d’outre-Loire, qu’elle enlevait à Louis VII, son premier mari. Les hommes du midi ne s’inquiétèrent point d’abord de la décision du concile de Beaugenci ; peu leur importait qu’Éléonore, leur souveraine, fut reine de France ou d’Angleterre. Ils espéraient seulement conserver, sous la suzeraineté plus nominale que réelle de leurs nouveaux chefs, toute leur indépendance. Mais quand ils virent arriver dans leurs provinces si riches et si peuplées les ministres des rois d’Angleterre, les collecteurs des taxes qui essayaient de grossir par leurs extorsions les revenus de l’échiquier royal, le mécontentement fut général, et la