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progressives des humanitaires, l’enthousiasme orphique de certains archéologues qui ne parlent que rosaces, ogives et absides, et qui comprennent mieux que personne ce poème de pierre qu’on appelle une cathédrale, tout cela paraît être en fermentation dans l’esprit de M. Dussieux ; mais ce mélange incohérent n’est pas encore arrivé chez lui à l’état de fusion, et ne constitue pas une doctrine suivie. De là l’impossibilité de déductions sérieuses et logiques ; de là une bouffissure qui peut bien employer les grandes expressions de synthèse sociale, d’industrialisme, et s’éloigner de la langue de Bossuet et de Montesquieu par des mots tels que spiritualisation et matérialisation, mais qui n’est qu’une parodie du vrai style de l’historien.

Je ne voudrais pas relever toutes les assertions hasardées de l’opuscule de M. Dussieux. Il en est une pourtant qu’on ne peut passer sous silence. En parlant de l’invasion des barbares, l’auteur dit : « Voici venir Alaric, Genseric et Attila, le fléau de Dieu ! Que de villes ruinées, que de populations anéanties et fauchées ! que de monumens détruits ! Ah ! laissez-les faire. Dieu veille sur le monde (saint Prosper). Il se sert d’eux comme de fléaux pour détruire ses persécuteurs ; l’invasion est une expiation, et il y aura invasion tant que tout ce qui est et aura été païen ne sera pas anéanti. » Et plus loin : « L’empire grec n’a été renversé qu’en 1453 par les Turcs. Ce débris de l’empire romain une fois anéanti, les invasions cessent. En effet, qu’auraient eu à détruire les barbares ? Leur mission était finie. » Ces phrases, surtout pour un amateur des arts, me paraissent d’un optimisme historique très naïf. Autant vaudrait dire, si la comparaison n’était triviale, que les barbares ont fait comme le chlorure de chaux, qui ne se dégage qu’autant qu’il est nécessaire, afin de se combiner avec les miasmes pestilentiels et les neutraliser. Sans croire que la civilisation moderne tire exclusivement sa source du monde romain, sans se placer au point de vue exclusif de Gibbon, et en maintenant seulement ce qu’il y a de vrai dans les opinions émises par M. Fauriel, il est permis de sourire d’une pareille admiration pour les barbares et leur mission providentielle.

Je n’aime pas davantage, je l’avoue, des phrases absolues comme celle-ci : « Sous Philippe-le-Bel, le pape, souffleté par l’ambassadeur du roi, perd son rang de chef du monde. » Comme si, malgré son incontestable importance, ce seul fait d’un pape, frappé par un envoyé français, était à la fois le commencement et le terme de l’affaiblissement du pouvoir pontifical ! C’est une des plus bizarres et des plus fâcheuses manies de notre temps que de tirer ainsi les généralités historiques des moindres circonstances et non de l’ensemble des faits, et d’élever par là le détail isolé à l’état d’affirmation théorique.

Après les jugemens hasardés viennent les erreurs : ainsi Milton mis au XVIe siècle, à côté du Tasse et de l’Arioste. Il serait ridicule sans doute de faire de cette note bibliographique l’errata d’une brochure ; et d’ailleurs comme les tableaux de M. Dussieux embrassent l’architecture et la sculp-