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Mais, si l’unité n’est pas dans les doctrines, elle se manifeste dans la forme qui leur est commune ; car le langage de cette philosophie est toujours péripatéticien. L’idéalisme ne peut dès-lors apparaître que sous des formules habituelles à l’empirisme. « Le deuxième caractère général de la scholastique, selon M. Huet, c’est sa méthode. Une question étant donnée, les scholastiques commencent par exposer le sic et non, les argumens pour et contre ; ils font connaître ensuite les solutions qu’ils adoptent, quelquefois après les avoir fait précéder d’éclaircissemens et de distinctions verbales ; enfin ils reprennent un à un les argumens opposés à leur thèse, et y font une réponse catégorique. On voit que la méthode des scholastiques est purement logique, qu’ils sont armés pour le combat, non pour la recherche de la vérité. » M. Huet montre ensuite quelle force il fallut à la philosophie du moyen-âge pour résister aux tendances empiriques de sa forme. Aussi elle y céda quelquefois. Duns Scot, par exemple, établit que nous ne pouvons connaître Dieu que par abstraction, comme saint Thomas l’avait déjà donné à entendre ; et nous verrons tout à l’heure Henri de Gand nier l’innéité des idées. Cependant Mazzonius a peut-être eu raison d’avancer que Henri fut le seul scholastique vraiment platonicien, et, à coup sûr, Duns Scot ne s’est pas trompé, en disant : In Henrico semper quiddam sublime et venerandum.

M. Huet expose, dans un ordre logique fort ingénieux, les diverses opinions éparses dans les ouvrages du Docteur solennel. Il commence par traiter des rapports de la raison et de l’autorité, et ce lui est une occasion pour démontrer que la raison a toujours gardé sa place dans cette philosophie du moyen-âge qui n’a pas toujours été, comme on le pense à tort, l’esclave de la théologie, ancilla theologiæ. « Henri de Gand n’admet point, entre la raison et la foi, dit M. Huet, cette opposition imaginaire que rêvent, jusque dans le sein de l’église, des esprits secrètement malades de scepticisme. Il existe chez lui un accord complet entre la vérité naturelle et la vérité révélée. » Voici quelques propositions qui montreront combien le Docteur solennel professait une doctrine large et hardie pour son époque : « L’obéissance de la foi engendre le fidèle à l’intelligence de l’Écriture ; mais lorsque l’esprit se trouve ainsi en rapport direct avec la vérité, la position du fidèle change ; il ne croit plus à l’Écriture, à cause de l’église, mais à l’église, à cause de l’Écriture. » Et ailleurs : « Il faut consulter la raison pour savoir si nous devons, de préférence, nous en rapporter à l’Écriture ou à la raison. »

M. Huet traite ensuite de la science et de la certitude, selon Henri de Gand. La vérité d’une chose consiste dans une conformité et une certaine équation, selon le degré de perfection qui convient à sa nature, avec le modèle parfait qui lui correspond dans l’essence divine. En Dieu la vérité n’est plus un rapport entre l’objet et le sujet de la connaissance, la vérité est substantielle ; la chose connue et l’être qui connaît ne peuvent plus être distingués. Ce sont là les expressions de Henri de Gand. Comme lui, Descartes et Leibnitz ont cru que l’esprit humain, même à son insu, ne pouvait acquérir