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MARGOT.

Le découragement la prit ; on vit alors cette bonne dame s’appuyer sur une canne et se rendre seule à l’église ; elle avait résolu, disait-elle, d’achever ses jours sans l’aide de personne, et elle s’efforçait, en public, de porter gaiement sa tristesse et ses années, mais ses jambes tremblaient en montant l’escalier, car elle avait soixante-quinze ans ; on la trouvait le soir auprès du feu, les mains jointes et la tête basse ; elle ne pouvait supporter la solitude ; sa santé, déjà faible, s’altéra bientôt, elle tombait peu à peu dans la mélancolie.

Elle avait un fils unique nommé Gaston, qui avait embrassé de bonne heure la carrière des armes, et qui, en ce moment, était en garnison. Elle lui écrivit pour lui conter sa peine et pour le prier de venir à son secours dans l’ennui où elle se trouvait. Gaston aimait tendrement sa mère ; il demanda un congé et l’obtint, mais le lieu de sa garnison était, par malheur, la ville de Strasbourg, où se trouvent, comme on sait, en grande abondance, les plus jolies grisettes de France. On ne voit que là de ces brunes allemandes, pleines à la fois de la langueur germanique et de la vivacité française. Gaston était dans les bonnes graces de deux jolies marchandes de tabac qui ne voulurent pas le laisser s’en aller ; il tenta vainement de les persuader, il alla même jusqu’à leur montrer la lettre de sa mère ; elles lui donnèrent tant de mauvaises raisons, qu’il s’en laissa convaincre, et retarda de jour en jour son départ.

Mme Doradour, pendant ce temps-là, tomba sérieusement malade. Elle était née si gaie, et le chagrin lui était si peu naturel, qu’il ne pouvait être pour elle qu’une maladie. Les médecins n’y savaient que faire : « Laissez-moi, disait-elle, je veux mourir seule ; puisque tout ce que j’aimais m’a abandonnée, pourquoi tiendrais-je à un reste de vie auquel personne ne s’intéresse ? »

La plus profonde tristesse régnait dans la maison, et en même temps le plus grand désordre. Les domestiques, voyant leur maîtresse moribonde, et sachant son testament fait, commençaient à la négliger. L’appartement, jadis si bien entretenu, les meubles si bien rangés, étaient couverts de poussière. « Ô ma chère Ursule, s’écriait Mme Doradour, ma toute-bonne, où êtes-vous ? Vous me chasseriez ces marauds-là ! »

Un jour qu’elle était au plus mal, on la vit avec étonnement se redresser tout à coup sur son séant, écarter ses rideaux, et mettre ses lunettes. Elle tenait à la main une lettre qu’on venait de lui apporter et qu’elle déplia avec grand soin. Au haut de la feuille était une belle vignette représentant le temple de l’amitié avec un autel au milieu,