de l’idéalisme et de l’empirisme, toute la philosophie du moyen-âge n’est pas là, et il y a autre chose entre saint Thomas et Duns Scot qu’entre Guillaume de Champeaux et l’auteur du Sic et non. Le livre de M. François Huet sur Henri de Gand restitue la vie inconnue et la doctrine d’un docteur illustre du moyen-âge, dont le rôle intellectuel a été important au XIIIe siècle, et qui depuis a été indiqué à peine par quelques rares historiens de la philosophie. Par les recherches de M. Huet, le nom de Henri de Gand a désormais une place assurée au premier rang dans les annales de la scholastique.
Henri Goethals naquit vers 1217 dans la seigneurie de Mude, aux environs de Gand, d’un père chevalier qui avait combattu à Bouvines. Il suivit à Cologne les leçons d’Albert-le-Grand, puis il revint à Gand donner le premier enseignement public de théologie et de philosophie. Mais son intelligence l’appelait naturellement à l’université de Paris, où il vint prendre ses degrés. La réputation qu’il s’acquit dès l’abord dans ces luttes logiques, dans ces combats de l’esprit, où toutes les difficultés de l’argumentation étaient accumulées, lui fit conférer officiellement le titre de docteur solennel, ce qui est consigné dans une bulle fort curieuse d’Innocent IV, retrouvée par M. Huet, et qui nomme Henri protonotaire apostolique, avec des pouvoirs s’étendant non-seulement à Paris et sur tous les diocèses de France, mais encore sur celui de Tournay. Une pareille distinction envers un simple disciple, qui n’avait pas trente ans, n’étonne pas à une époque où saint Thomas enseignait la théologie à vingt-cinq. Mais, on le sait, l’Université de Paris au XIIIe siècle n’était pas exclusivement agitée par les conflits scholastiques de la parole, mais aussi par des dissensions intérieures. La grande querelle des ordres mendians divisait alors les esprits, et Henri de Gand, comme les autres docteurs, fut naturellement appelé à donner son avis. Conciliateur modéré, il n’approuva pas les violences de Guillaume de Saint-Amour, mais d’un autre côté il fut loin de soutenir la cause des moines avec Albert-le-Grand, saint Thomas et saint Bonaventure. Il vit que les ordres mendians, forts de la faveur populaire et de la protection des rois, comme le dit M. Huet, illustrés par la science de leurs docteurs, assez puissans pour faire des papes, marchaient rapidement à la domination universelle ; il vit qu’ils voulaient substituer partout leurs chaires à celles de l’Université, leur autorité à celle des prêtres ordinaires et établir de toute manière leurs priviléges abusifs. « Une guerre en forme s’était élevée ; il y avait de chaque côté un arsenal complet d’argumens, ici seize et là vingt-six. Henri combattit au premier rang dans ce tournoi d’un nouveau genre ; il répliquait, dupliquait et répliquait encore. » Quoi qu’il en soit, et malgré ces formes bizarres d’argumentation, il y avait là autre chose qu’une dispute d’école ; Henri de Gand s’aperçut que l’envahissement des ordres mendians tendait à modifier l’institution même de l’église. Aussi plus tard le concile de Trente adopta des conclusions analogues à celles du Docteur solennel. La doctrine libérale qu’Henri avait soutenue à propos de la querelle de l’Université, il la soutint partout, sous d’autres formes, dans