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REVUE LITTÉRAIRE.

au ton dont il dit cela, on voit que le malheureux jongleur avait dû subir l’épreuve.

Le morceau suivant, en l’honneur des bochiers, paraît, par la crudité et l’accumulation de détails techniques, dignes de quelque abattoir, avoir été destiné exclusivement aux bouchers du moyen-âge. Le poète raconte longuement à quoi servent toutes les parties du corps des animaux immolés. Chaque morceau du porc est cité à son tour :

Et des boiox fait-en endoilles.

La soie de cet animal elle-même n’est pas oubliée ; elle sert, dit le poète, à coudre les chaussures et le cuir. Il en est de même du bœuf ; de ses cornes,

On en fait peignes pour peigner,
Et lanternes por cler véoir.

Puis vient le mouton, avec sa laine, et sa peau dont on fabrique des gaînes, des gants et des bourses.

L’éloge des cordiers est le dernier des servantois publiés par M. Jubinal. À qui les cordes ne servent-elles point ? se demande le trouvère. Le meunier dans son moulin, le bedeau pour sa cloche, s’en pourraient-ils passer ? Sans cordes, le maçon rendrait-il son mur droit, le marin aurait-il des câbles ? Et que deviendraient les soufflets des forgerons, les filets des pêcheurs, et les longes des charretiers ? Comment descendrait-on le vin à la cave ? Comment pendrait-on les larrons ?

Je ne sais, mais il me paraît curieux d’étudier les inspirations intéressées de ces simples poètes du XIIIe siècle ; si l’art s’est perfectionné depuis et n’est pas demeuré dans cette barbarie naïve, les mœurs ont changé aussi de leur côté. Pas un poète d’aujourd’hui, même dans le besoin, ne songerait sans doute à avoir recours à la pitié des différens métiers ; mais, en revanche, si un poète malheureux se résignait à louer quelque industrie de notre temps, trouverait-il, comme au moyen-âge, un marchand qui écoutât ses vers et surtout qui en achetât les feuilles ? J’en doute, et je dirais volontiers avec Calpurnius :

Frange, puer, calamos et inanes desere musas.


Fragmens d’Épopées romanes du xiie siècle, traduits et annotés par Edward Le Glay[1]. — M. Edward Le Glay, un de ces jeunes travailleurs qui, en province, suivent avec ardeur le mouvement de recherches historiques et poétiques vers le moyen-âge, a eu l’idée de donner des échantillons de nos richesses épiques et des extraits de poèmes traduits en français moderne, et lisibles pour tous, mais traduits avec simplicité, avec rigueur, et non pas affadis à la Tressan. La lecture, en effet, des vieux poèmes dans leurs textes des XIIe et XIIIe siècles ne laisse pas d’être pénible, et quoiqu’elle ne

  1. In-8o, chez Techener, 12, place du Louvre.