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la prendre à son service comme écuyer. Robier accepte, et la dame paie à dîner et le logis à son époux, auquel il ne restait plus que trois sous, et ils arrivèrent ainsi à Marseille. Cependant ils couraient depuis sept ans, et le seigneur Raoul possédait toujours la terre de Robier ; mais il tomba malade, et tout effrayé de sa déloyauté, il appela son chapelain et lui conta comment il avait calomnié la dame. Le chapelain lui ordonna, s’il voulait recouvrer la santé, d’aller en Terre-Sainte. — Ici le romancier s’interrompt tout à coup en disant que l’histoire se tait sur la suite de cette aventure, et qu’il retourne au roi Flore d’Ausai, dont il a parlé au début.

Le roi Flore d’Ausai et sa femme, désolés de ne point avoir d’enfans, font chanter messes. La reine appelle même un ermite et se recommande à ses prières, d’autant plus vivement que les barons du royaume engageaient son mari à la répudier, pour prendre une autre femme. L’ermite lui conseille de se retirer dans une abbaye, parce qu’il faut, avant tout, qu’elle obéisse à son mari et à ses barons. Elle se résigna, et après avoir long-temps pleuré avec le roi qui l’aimait beaucoup, malgré cette séparation, elle se retira dans un monastère. Le roi Flore prit une autre femme, la garda pendant trois ans, mais ne put jamais non plus en obtenir un héritier. — Ici le récit est brisé de nouveau et le romancier revient à Robier et à son écuyer qu’il avait laissés à Marseille.

Les voilà donc dans cette ville ne sachant trop comment se créer des ressources ; mais la dame se met à faire pain françois, et à tenir hôtellerie pour héberger les bonnes gens. Ses affaires prospérèrent à tel point, qu’en quatre ans elle gagna, après avoir bien vêtu et nourri son seigneur, plus de trois cents livres. Cependant Raoul, ayant cédé aux conseils de son chapelain, se met en route pour la Terre-Sainte, après avoir toutefois, en passant à Marseille, fait confidence du motif de son voyage à la dame qu’il n’eut garde de reconnaître. Son voyage terminé, Raoul repassa de nouveau à Marseille et logea encore dans l’hôtel de Robier, qu’on nommait alors l’Hôtel François ; puis il retourna en son pays où son chapelain lui demanda si personne ne s’était enquis du but de son voyage. Il répondit que oui, à Marseille, à Acre et à Jérusalem, et il ajouta qu’on lui avait même persuadé de rendre sa terre à monseigneur Robier, si jamais il en avait nouvelles. Certes, c’est un bon conseil, dit l’ermite, suivez-le. — Sept ans s’étaient passés depuis que Robier et sa femme étaient à Marseille ; ils avaient gagné près de six cents livres à héberger les bonnes gens, et Robier, cédant aux instances de sa femme dans laquelle il voyait toujours son ancien écuyer Jean, se mit enfin en route pour son pays. Arrivé là, il appelle Raoul en duel, et alors le faux écuyer va trouver une de ses cousines et lui raconte tout ce qui s’est passé. La belle Jeanne, après s’être fait étuver, reprend ses habits de femme et retrouve en même temps sa première beauté qui était grande. Le jour de la bataille arriva, et après de grands coups d’épée parés et rendus, Raoul, le chevalier félon, fut contraint de demander merci. Robier était tout fier de sa