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historique, beaucoup de ces sortes d’impropriétés : ce style, sans cesse remué, s’allanguit et s’étire. Mais prenons garde, en le trop décrivant, de l’imiter.


La Thébaïde des Grèves, reflets de Bretagne, poésies, par M. Hippolite Morvonnais[1]. — En quittant le romancier raffiné de la Torpille, on ne saurait passer dans un monde plus différent. Ici l’air est pur ; nous sommes aux grèves des mers, en Bretagne, dans ce que le poète appelle sa Thébaïde, c’est-à-dire dans le manoir de la famille et au sein des joies intimes ou des douleurs d’une ame restée simple et chrétienne. M. Morvonnais a fait dès long-temps une étude approfondie et toute filiale de Wordsworth, de Crabbe, et lui-même il peut se dire à son tour le Lackiste des mers. Le volume qu’il publie contient ses propres impressions et les cantiques de son cœur dans la solitude d’un veuvage que remplit un souvenir aimé. La poésie de M. Morvonnais est abondante, cordiale, salubre pour ainsi dire, pleine d’images heureuses et particulières de la nature, féconde en effusions mystiques : le fond a beaucoup de richesse et de fertilité ; la forme en est souvent indéterminée et quelque peu inculte. Cette poésie doit ressembler au manoir même et au paysage qu’elle décrit : une végétation forte et plantureuse, d’odorantes senteurs qui s’en exhalent, des herbes hautes qui envahissent (même dans ce qu’on appelle jardin) les sentiers mal dessinés ; une source qui coule dans un lit peu tracé et en déborde souvent. Rarement il y a un tableau terminé dans ces poésies, le cantique revient toujours et recommence ; c’est comme une redite patriarcale, biblique, qui a son charme, qui a aussi sa satiété. Ce qui est vrai du peu de composition de l’ensemble, ne l’est pas moins pour le détail du style : la phrase ne finit pas, le vers enjambe sur le vers et sur la strophe, sans qu’il en résulte beauté ni mouvement. Il y a des aspérités agrestes, il y a des duretés armoricaines. Et pourtant tout cela est bien d’un poète, d’un chantre de famille et de coin du feu, d’un peintre de landes et de bruyères. Les âmes tendres et naïves se plairont à l’entendre et retiendront son nom entre ceux d’aujourd’hui qui cheminent aux mêmes sentiers. Voici une pièce qui, en justifiant nos éloges, ne fera sentir qu’à peine ce que nous critiquons :

À L’ENFANT.

Enfant, tes jeux sont doux à mon cœur paternel,
Mon chant intérieur monte vers l’Éternel
Quand j’entends tes pas dans les salles,
À cette heure où le jour s’éteint mystérieux ;
Lorsque le vieux château, décrépit glorieux,
Nous cache ses tours colossales.

  1. vol. in-18, chez Gabriel Roux, 2, rue des Beaux-Arts.