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qu’on trouve aujourd’hui sur la scène les évènemens les plus invraisemblables entassés à plaisir les uns sur les autres, un luxe de décoration inouï et inutile, des acteurs qui crient à tue-tête, un bruit d’orchestre infernal, en un mot, des efforts monstrueux, désespérés, pour réveiller notre indifférence, et qui n’y peuvent réussir ; mais qu’importe ? Un méchant mélodrame bâti à l’imitation de Caldéron ou de Shakspeare ne prouve rien de plus qu’une sotte tragédie cousue de lieux communs sur le patron de Corneille ou de Racine, et, si on me demandait auquel des deux je me résignerais le plus volontiers en cas d’arrêt formel qui m’y condamnât, je crois que je choisirais le mélodrame. Qui oserait dire que ces deux noms de Shakspeare et de Calderon, puisque je viens de les citer, ne sont pas aussi glorieux que ceux de Sophocle et d’Euripide ? Ceux-ci ont produit Racine et Corneille, ceux-là Gœthe et Schiller. Les uns ont placé, pour ainsi dire, leur muse au centre d’un temple entouré d’un triple cercle ; les autres ont lancé leur génie à tire-d’aile et en toute liberté : enfance de l’art, dit-on, barbarie ; mais avez-vous lu les œuvres de ces barbares ? Hamlet vaut Oreste, Macbeth vaut Œdipe, et je ne sais même ce qui vaut Othello.

Pourquoi a-t-on opposé ces deux genres l’un à l’autre ? pourquoi l’esprit humain est-il si rétréci qu’il lui faille toujours se montrer exclusif ? pourquoi les admirateurs de Raphaël jettent-ils la pierre à Rubens ? pourquoi ceux de Mozart à Rossini ? Nous sommes ainsi faits ; on ne peut même pas dire que ce soit un mal, puisque ces enthousiasmes intolérans produisent souvent les plus beaux résultats ; mais il ne faudrait pourtant pas que ce fût une éternelle guerre. Lorsque jadis le pauvre La Motte proposa le premier à Paris de faire des pièces en prose, sans unités, Voltaire frémit d’horreur à Ferney et écrivit aux comédiens du roi que c’était l’abomination de la désolation dans le temple de Melpomène. Lorsque, de nos jours, M. Victor Hugo, avec un courage auquel on doit honneur et justice, monta hardiment à la brèche de ce même temple, quel déluge de traits n’a-t-on pas lancé sur lui ? Mais il a fait comme Duguesclin, il a planté lui-même son échelle. Maintenant que la paix est faite et la citadelle emportée, pourquoi les deux partis n’en profitent-ils pas ?

Ceci m’amène au point délicat qui fait le sujet de cet article : à savoir, si la tragédie renaissait aujourd’hui et reprenait franchement sa place à côté du drame romantique, ce qu’elle pourrait être. Il va sans dire que je n’ai pas la prétention de décider une question pareille, mais seulement de la poser et de faire quelques conjectures. Le lec-