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SPIRIDION.

se prosterna sur cette dalle, et l’arrosa de larmes amères. Alors il entendit une voix qui lui dit à l’oreille : T’ai-je donc quitté ? Il n’osa pas regarder auprès de lui. Il ferma les yeux pour ne rien voir. Mais la voix qu’il avait entendue était bien celle de son ami. Les chants funèbres résonnaient encore sous la voûte du temple, et le cortége des moines défilait lentement.

— Là, poursuivit Alexis après s’être un peu reposé, cessent pour moi les intimes révélations de Fulgence. Lorsqu’il me raconta ces choses, il crut devoir ne me rien cacher de la vie et de la mort de son maître ; mais, soit scrupule de chrétien, soit une sorte de confusion et de repentir envers la mémoire de Spiridion, il ne voulut point me raconter ce qui s’était passé depuis entre lui et l’ombre assidue à le visiter. J’ai la certitude intime qu’il eut de nombreuses apparitions dans les premiers temps ; mais la crainte qu’elles lui causaient et les efforts qu’il faisait pour s’y soustraire, les rendirent de plus en plus rares et confuses. Fulgence était un caractère flottant, une conscience timorée. Quand il eut perdu son maître, le charme de sa présence continuelle n’agissant plus sur lui, il fut effrayé de tout ce qu’il avait entendu, et peut-être de ce qu’il avait fait en inhumant le livre. Personne mieux que lui ne savait combien l’accusation de magie était indigne de la haute sagesse et de la puissante raison de l’abbé. Néanmoins, à force d’entendre dire, après sa mort, qu’il s’était adonné à cet art détestable, et qu’il avait eu commerce avec les démons, Fulgence, épouvanté des choses surnaturelles qu’il avait vues, et de celles qui, sans doute, se passaient encore en lui, chercha dans l’observance scrupuleuse de ses devoirs de chrétien un refuge contre la lumière qui éblouissait sa faible vue. Ce qu’il faut admirer dans cet homme généreux et droit, c’est qu’il trouva dans son cœur la force qui manquait à son esprit, et qu’il ne trahit jamais, même au sein des investigations menaçantes ou perfides du confessionnal, aucun des secrets de son maître. L’existence du manuscrit demeura ignorée, et, à l’heure de sa mort, il exécuta fidèlement la volonté suprême de Spiridion, en me confiant ce que je viens de te confier.

Spiridion avait érigé en statut particulier de notre abbaye, que tout religieux atteint d’une maladie grave serait en droit de réclamer, outre les soins de l’infirmier ordinaire, ceux d’un novice ou d’un religieux à son choix. L’abbé avait institué ce réglement peu de jours avant sa mort, en reconnaissance des consolations dont Fulgence entourait son agonie, afin que ce même Fulgence et les autres religieux eussent, dans leur dernière épreuve, ces secours et ces consolations