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dal, une des parties les plus pittoresques de la Norwége. Au haut du Dovrefield, nous avions rencontré des sites étranges ; mais rien de ce qui attire le regard sur la route de Stockholm et celle de Christiania ne ressemble aux magnifiques points de vue des côtes du Nord. À peine sortis du golfe de Drontheim, nous entrons dans une enceinte d’îles étroites, de rocs escarpés, qui tantôt forment autour de nous un bassin pareil à celui d’un port, tantôt s’élèvent de chaque côté du navire comme deux colonnes de granit, se ferment comme une barrière, et s’étendent au loin comme une rue. Les uns portent encore à leur base quelques tiges de bouleaux et des touffes d’herbe ; mais la plupart n’offrent que de faibles traces de végétation. Ils sont gris comme la lave de l’Hécla et secs comme une écaille de tortue. Quelquefois on distingue la flèche en bois de la chapelle, qui s’élève comme un signe de consolation au milieu de la tristesse solennelle du paysage. Cette chapelle, quoique située au centre de la paroisse, est ordinairement très éloignée de toute habitation. Le prêtre, qui a plusieurs chapelles à desservir, ne vient là que deux ou trois fois par an, et quand il entreprend ce voyage évangélique, c’est souvent au péril de sa vie, car il faut qu’il traverse des golfes où une raffale violente succède parfois tout à coup à un calme plat. Quelques-uns de ses paroissiens ont encore plus de difficultés à vaincre et de dangers à surmonter quand ils veulent se rendre à l’office. L’hiver, l’église est presque déserte ; tandis que les hommes sont à la pêche, la mer et l’orage empêchent les femmes de sortir. On a vu alors des familles obligées de garder un mort pendant deux ou trois mois avant de pouvoir le porter au cimetière pour le faire enterrer.

Le matin, quand nous passions là, le ciel était d’un bleu limpide, le soleil projetait ses rayons sur les flots de la mer, et tous ces rocs si nus, si tristes, si déserts, formaient un singulier contraste avec ces vagues vertes comme l’émeraude, rouges comme la pourpre, et ce ciel pur comme un ciel du midi. Mais peu à peu des vapeurs grises s’amoncellent au sommet des montagnes ; elles s’étendent comme un nuage, elles enveloppent l’horizon, et l’on n’entrevoit plus au loin qu’un voile de brouillards noirs, où quelques rayons de lumière percent çà et là comme les teintes blanches que le peintre jette du bout de son pinceau sur une toile sombre. Le brouillard, étendu d’abord au large dans l’espace, nous resserrait de plus en plus. Alors tous les objets se dessinaient confusément à nos yeux, et l’œil exercé du pilote pouvait seul discerner les brisans dont nous étions menacés, et reconnaître la route que nous devions suivre à la forme à demi effacée des montagnes. Nous naviguâmes ainsi à l’aide de la merveilleuse expérience de notre pilote pendant quelques heures ; puis la brume devint si obscure, qu’il fallut jeter l’ancre, et nous restâmes là toute la nuit, bercés par le vent et dormant entre les écueils.

Le lendemain, c’étaient des îles plus sauvages encore et des rocs plus escarpés. La mer était parfois si resserrée, qu’on l’eût prise pour une rivière. Le bateau virait sans cesse et glissait comme un serpent entre les sinuosités