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REVUE. — CHRONIQUE.

le dit consacré par un traité d’alliance offensive et défensive dont les évènemens de la Perse seraient le prétexte ; et cette rumeur, peut-être mal fondée, coïncide avec des plaintes toutes nouvelles qui trahissent le mécontentement et l’inquiétude de la Russie. Vous avez sans doute lu, monsieur, cet étrange article de la Gazette d’Augsbourg dans lequel, sous la forme d’une lettre d’Odessa, le cabinet de Pétersbourg essaie tour à tour de la menace, de la séduction, de la forfanterie. D’abord, c’est la Russie méridionale qui se remplit de soldats et prend de toutes parts un aspect belliqueux : la Russie est donc préparée à tout évènement ; elle ne veut pas être prise au dépourvu, et sa formidable puissance se développera au premier signal. Puis on insinue que la Porte Ottomane, séduite par les souvenirs de son ancienne grandeur, apprécie mal sa situation et sa faiblesse présentes. On lui reproche de chercher au loin des amis équivoques, dont le secours incertain se ferait trop attendre et serait insuffisant, si elle était de nouveau menacée par les armes du pacha d’Égypte au cœur de l’Asie mineure. C’est évidemment contre la mission de Reschid-Pacha en Angleterre et en France que réclame l’interprète du gouvernement russe. Cette mission est donc jugée à Pétersbourg une espèce d’infraction au traité d’Unkiar-Skelessi, qui devait identifier à jamais la politique de la Russie et celle de la Porte Ottomane, et faire dépendre de la modération de l’empereur Nicolas l’existence du sultan Mahmoud ! Ainsi le gouvernement russe se fonde sur tout le mal qu’il a fait à la Turquie, c’est-à-dire sur les conquêtes qui l’ont rapproché de sa capitale, pour que celle-ci se repose désormais sur lui seul de son avenir et de son indépendance. S’il faut en croire le correspondant de la Gazette d’Augsbourg, les prétentions de la Russie sont à peu près les mêmes à l’égard de toute l’Europe. C’est grâce à la modération et au désintéressement de cette puissance, que la paix n’est pas troublée, et pour que l’on n’y voie pas un signe de faiblesse, la Russie se hâte de proclamer qu’elle est l’arbitre du continent, que son influence est reconnue en Allemagne, que la Perse est son alliée, que la communauté d’origine, de langage et de religion la met à la tête de toutes les races slaves, qui ont les yeux tournés constamment vers elle, et reçoivent d’elle l’impulsion et le mouvement. Je ne sais comment l’Autriche, qui a des Slaves dans son empire, prendra cette rodomontade. La Russie va plus loin encore. Elle déclare que la France même recherche son amitié, ce qui vous paraîtra certainement, comme à moi, une exagération un peu forte et presque une impertinence. On conviendra en vérité que la Turquie a bien tort de ne pas exclusivement se fier à tant de puissance et de magnanimité.

Malheureusement tout n’est pas forfanterie et mensonge dans ces déclarations que fait la Russie à l’Europe. Il est vrai, il est certain que de grands mouvemens de troupes ont lieu dans les provinces méridionales de l’empire, que des armées s’y rassemblent, que la marine déploie la même activité, et que plusieurs symptômes y accusent des pensées de guerre prochaine. Ces préparatifs, ralentis pendant quelque temps, ont même reçu depuis peu une