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REVUE LITTÉRAIRE.
vainqueurs. Oublieux de leur foi trompée, tous y viennent ; le pas d’armes brille au complet ; mais, jeu du sort ! les trois vainqueurs sont Bras-de-Fer, Raymond-le-Bossu, et Hugue-au-Pied-Fourchu. Les trois dames, effrayées du choix, veillent toute la nuit et tiennent conseil : et le matin, Berthe, d’une voix de velours, demande pour elle et ses sœurs aux prétendans de ne les suivre à l’autel que voilées : c’est un vœu fait par modestie ! et les preux d’applaudir. On a deviné : au moment où le mariage est consommé, le voile tombe, et c’est la main d’une vassale qui a reçu l’anneau de chaque noble amant. Les trois chevaliers furieux se tournent vers le sire de Joux en l’accusant ; mais lui-même, que ce spectacle renverse, tombe et meurt suffoqué de colère au moment où il leur jette son démenti :

Cependant sur leurs haquenées
Galopaient les dames de Joux,
Fuyant, ainsi que trois damnées,
L’ombre d’un père et leurs époux.
Les preux, que la fureur transporte,
Les poursuivent vers Entreporte,
Noir défilé que Dieu creusa
Aux flancs du Jura.

Accours, accours, terrible sire !
Aux flancs poudreux de ton coursier
Plante avec rage, avec délire,
Ton mordant éperon d’acier.
Il bondit, vole, écume et sue,
Ton bon coursier. — Bride abattue !
Vengeance !… On ne peut t’échapper,
Tu n’as qu’à frapper :

Tu frémis ! — Que crains-tu ? — L’orage.
L’éclair s’échappe en longs sillons ;
Dans les sapins le vent fait rage,
Siffle et mugit en tourbillons.
Tout s’assombrit dans la vallée,
L’oiseau tremble sous la feuillée,
La terre s’ébranle, et l’Armont
A voilé son front.

Ô miracle ! horrible surprise !
Sous un lourd manteau de rocher,
Voilà que chaque dame emprise,
Se sent à la terre attacher ;