Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
LA SICILE.

attendrissement en lui baisant les mains. C’est là un de ces restes de féodalité que nulle constitution ne pourra abolir, et dont mes idées du siècle ne furent nullement révoltées. À Palerme, ces liens qui attachent les serviteurs aux anciennes familles, sont encore dans toute leur force, et j’ai vu plusieurs exemples curieux de ces humbles dévouemens qui ont survécu aux anciennes institutions.

Il y a dix ans, le palais Butera était un édifice d’un temps et d’un goût surannés. Aujourd’hui, il semble construit d’hier, et ses salons ressemblent, mais en grand, aux plus beaux et aux plus somptueux appartemens de Paris. Imaginez cent vastes chambres meublées dans le goût du règne de Louis XV, dorées, lambrissées, garnies de tentures à ramages, de lustres et de bronzes de Venise. Les bergers et les bergères de Vatteau, enlacés de guirlandes, ornent les trumeaux, et tous les gracieux écarts de la fantaisie du XVIIIe siècle décorent cet immense palais. On dirait que Marly ou quelque autre résidence royale, soustraite à la torche révolutionnaire, a été secrètement apportée sur le rivage de la mer Tyrrhénienne ! Une seule galerie m’a paru tout-à-fait dans le goût sicilien. Les grands sophas, les meubles, les rideaux et les draperies des murailles sont de satin broché d’or et brodé de fruits massifs en corail de plusieurs doigts d’épaisseur. Je ne crois pas qu’il y ait un seul souverain en Europe qui possède un salon d’une telle magnificence. Dans un de ses autres palais, le prince de Trabia a des tableaux d’un grand prix. J’y ai vu un admirable Salvator Rosa, un Michel-Ange, un Gérard de la nuit, un Annibal et un Augustin Carrache, un des plus beaux Giordano, une curieuse statue de Sénèque s’ouvrant les veines au bain, que je voudrais voir ailleurs que dans une cheminée, et la plus riche collection de médailles de tous les pays, mais surtout de l’époque siculo-normande.

Les palais de Palerme, que j’ai visités, ne sont pas tous de cette magnificence ; mais rien n’est plus imposant que ces vastes demeures avec leur péristyle espagnol et leur sombre cour moresque. La solitude qui règne dans la plupart de ces palais ajoute encore à leur effet mélancolique. Parmi ceux qui sont encore habités, ou qui l’étaient du moins pendant mon séjour en Sicile, je dois citer le palais du prince de Campo-Franco, qui était alors luogotenente de Sicile. En sa qualité de vice-roi, le prince avait, dans sa salle des gardes, quand j’eus l’honneur de lui rendre visite, un poste considérable de soldats napolitains, et leur présence, ainsi que celle des huissiers, répandait dans cette immense salle comme un air de royauté qui ne lui messeyait pas, à mon avis, surtout en me rappelant à quelle famille s’est allié