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la vie religieuse et en consacrant ses biens à l’édification de cette sainte maison. — J’ai ouï dire en effet, repris-je, que ce saint fondateur fut un homme de grand mérite, qu’il vécut et mourut en odeur de sainteté. — Le trésorier secoua doucement la tête en souriant. — Il est facile de bien vivre, dit-il, plus facile que de bien mourir ! Il n’est pas bon de tant cultiver la science dans le cloître. L’esprit s’exalte, l’orgueil s’empare souvent des meilleures têtes, et l’ennui fait aussi qu’on se lasse de croire toujours aux mêmes vérités. On veut en découvrir de nouvelles ; on s’égare. Le démon fait son profit de cela et vous suscite parfois, sous les formes d’une belle philosophie et sous les apparences d’une céleste inspiration, de monstrueuses erreurs, bien malaisées à abjurer quand l’heure de rendre compte vous surprend. J’ai ouï dire tout bas, par des gens bien informés, que l’abbé Spiridion, sur la fin de sa carrière, quoique menant une vie austère et sainte, ayant lu beaucoup de mauvais livres, sous prétexte de les réfuter à loisir, s’était laissé infecter peu à peu, et à son insu, par le poison de l’erreur. Il conserva toujours l’extérieur d’un bon religieux, mais il paraît que secrètement il était tombé dans des hérésies plus monstrueuses encore que celles de sa jeunesse. Les livres abominables du juif Spinosa et les infernales doctrines des philosophes de cette école l’avaient rendu panthéiste, c’est-à-dire athée. Mon cher fils, oh ! que l’amour de la science, qui n’est qu’une vaine curiosité, ne vous entraîne jamais à de telles chutes ! On prétend que, dans ses dernières années, Hébronius avait écrit des abominations sans nombre. Heureusement il se repentit à son lit de mort et les brûla de sa propre main, afin que le poison n’infectât pas, par la suite, les esprits simples qui les liraient. Il est mort en paix avec le Seigneur, en apparence ; mais ceux qui n’avaient vu que sa vie extérieure, et qui le regardaient comme un saint, furent étonnés de ce qu’il ne fît point de miracles pour eux sur son tombeau. Les esprits droits qui avaient appris à le mieux juger, s’abstinrent toujours de dire leurs craintes sur son sort dans l’autre vie. Quelques-uns pensèrent même qu’il avait été jusqu’à se livrer à des pratiques de sorcellerie, et que le diable parut auprès de lui lorsqu’il expira. Mais ce sont des choses dont il est impossible de s’assurer pleinement, et dont il est imprudent, dangereux peut-être, de parler. Paix soit donc à sa mémoire ! Son portrait est resté ici pour marquer que Dieu peut bien lui avoir tout pardonné, en considération de ses grandes aumônes et de la fondation de ce monastère.

Nous fûmes interrompus par l’arrivée du prieur ; le trésorier s’in-