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le temps. Un silence profond régnait dans les cours et dans les jardins ; les voûtes me renvoyaient l’écho de mes pas.

Tout d’un coup il me sembla entendre d’autres pas derrière les miens, et ces pas avaient quelque chose de si ferme et de si solennel, que je crus que c’était le prieur. Je me retournai pour le saluer, mais je ne vis personne et je pensai m’être trompé. Je recommençai à marcher, et j’entendis ces pas une seconde fois, et une troisième, quoique je fusse absolument seul dans la salle. Alors les terreurs qui m’avaient déjà assailli recommencèrent, je songeai à m’enfuir ; mais, forcé d’attendre le prieur, j’essayai de surmonter ma faiblesse et d’attribuer ces rêveries à l’accablement de mon corps et de mon esprit. Pour y échapper, je m’assis sur un banc, vis à-vis du portrait qui occupait le milieu parmi tous les autres. C’était celui de notre patron, saint François d’Assises. Il était représenté au moment où un ange lui apparaît et lui impose aux pieds et aux mains les glorieux stigmates de la passion de notre Seigneur Jésus-Christ. J’espérais que la contemplation de cette belle peinture chasserait les visions dont j’étais obsédé, lorsqu’il me sembla reconnaître, dans la tête pâle et douloureusement extatique du saint, les traits de l’inconnu que j’avais rencontré un matin au seuil de l’église. Je me levai, je me rassis, je m’approchai, je me reculai, et plus je le regardai, plus je me convainquis que c’étaient les mêmes traits et la même expression ; seulement la chevelure du saint était rejetée en désordre derrière sa tête, et comme hérissée d’une religieuse terreur à l’approche de l’ange. Le costume ne consistait qu’en une robe noire qui laissait voir ses pieds nus. La découverte de cette ressemblance me causa un transport de joie. J’eus un instant l’orgueil de croire que notre saint patron m’était apparu, et que son esprit veillait sur moi. En même temps je songeai avec bonheur que le père Alexis était dans la bonne voie, et qu’il était un saint lui-même, puisque le bienheureux était en commerce avec lui, et venait l’assister tantôt de salutaires reproches, et tantôt, sans doute, de tendres encouragemens.

Je m’avançai pour m’agenouiller devant cette image sacrée, mais il me sembla encore qu’on me suivait pas à pas, et je me retournai encore sans voir personne. En ce moment mes yeux se portèrent sur le tableau qui faisait face à saint François ; et quelle fut ma surprise en retrouvant les mêmes traits avec une expression douce et grave, et la belle chevelure ondoyante que j’avais cru voir en réalité ! Ce personnage était bien plus identique que l’autre avec ma vision. Il était