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goût moresque. Le style gothique lui-même, bientôt corrigé par le moyen-âge, a produit les monumens siculo-normands ; puis vinrent les rois suèves, qui aimaient plus les sciences que les arts, et dont les châteaux, placés dans les positions les plus inexpugnables, montrent le goût qu’ils avaient pour l’architecture militaire. Les arts ne tardèrent pas à être modifiés par l’Italie et par l’Espagne. L’architecture, sans direction, fut ramenée à un style pur et élevé par Antonio Gagini, et s’améliora encore depuis del Duca jusqu’à Morelli, qui ne dédaigna, comme Buonarotti, aucune des branches de l’art, pas même les fortifications. Il y eut alors une belle époque, où régna une pensée libre et large dont j’ai retrouvé des traces partout. Les meilleurs frontons de l’Italie sont égalés par la délicatesse, l’élégance et la hardiesse d’un portail d’église que j’ai remarqué dans la rue Macqueda, et dont les ornemens se composent de têtes de morts, en marbre, œuvre lugubre, mais belle comme un Requiem de Mozart.

Dans le quartier de la Kalsa sont encore le palais Butera, la Marina et la Flora, l’un des plus beaux jardins botaniques du monde. Le prince de Trabia, possesseur actuel du palais Butera, a encore un autre palais dans la rue Macqueda. L’abolition de la féodalité jure avec l’existence de pareils édifices. On cherche, en y entrant, les vassaux qui devraient remplir les cours, les pages, les écuyers, les gentilshommes de service, les gardes qui ont disparu des dix salons d’attente aux voûtes peintes et dorées, et dont la haie devrait mener jusqu’à la salle du trône, car il y a une salle du trône dans les deux palais du prince Trabia, qui est de la maison de Branciforte où l’on comptait des princes souverains. Je ne sais de quel Branciforte ou Trabia est le portrait qui figure sous le dais du trône. C’est sans doute l’un de ces mille souverains de Sicile que la constitution anglaise a détrônés, et dont les enfans viennent quelquefois visiter, en frac noir, leur palais abandonné. Le dernier rejeton de la maison de Butera est le jeune prince de Scordia, qui était préteur de Palerme lorsque je visitai la Sicile, et qui ne songe guère, assurément, à rétablir le système féodal dans sa patrie.

Le palais Butera est une des merveilles de Palerme. Sa principale façade est du côté de la mer et la domine. Des fenêtres on aperçoit la Marina, la Bagheria et l’éternel Monte-Pellegrino. Le bon et respectable prince de Trabia voulut bien me montrer lui-même ce palais qu’il n’habite pas. Quand il s’y présenta avec moi, les gardiens et les serviteurs qui sont chargés du soin de cette habitation, vinrent avec joie à la rencontre de leur vieux maître, et l’entourèrent avec