envie de retourner sur mes pas malgré le convers, de suivre ce noble étranger et de lui dire mes peines ; mais quel était-il pour les accueillir et les faire cesser ? D’ailleurs s’il attirait vers lui la sympathie de mon ame, il m’inspirait aussi une sorte de crainte, car il y avait dans sa physionomie autant d’austérité que de douceur.
Je montai vers le père Alexis, et lui racontai les nouvelles cruautés exercées envers moi. — Pourquoi avez-vous douté, ô homme de peu de foi ! me dit-il d’un air triste. Vous vous nommez Ange, et au lieu de reconnaître l’esprit de vie qui tressaille en vous, vous avez voulu aller vous jeter aux pieds d’un homme ignorant, demander la vie à un cadavre ! Ce directeur ignare vous repousse et vous humilie. Vous êtes puni par où vous avez péché, et votre souffrance n’a rien de noble, votre martyre rien d’utile pour vous-même, parce que vous sacrifiez les forces de votre entendement à des idées fausses ou étroites. Au reste, j’avais prévu ce qui vous arrive ; vous me craignez. Vous ne savez pas si je suis le serviteur des anges ou l’esclave des démons. Vous avez passé la nuit dernière à commenter toutes mes paroles, et vous avez résolu ce matin de me vendre à mes ennemis pour une absolution. — Oh ! ne le croyez pas, m’écriai-je, je me serais confessé de tout ce qui m’était personnel sans prononcer votre nom, sans redire une seule de vos paroles. Hélas ! serez-vous donc, vous aussi, injuste envers moi ? Serai-je repoussé de partout ? La maison de Dieu m’est fermée, votre cœur me le sera-t-il de même ? Le père Hégésipe m’accuse d’impiété, et vous, mon père, vous m’accusez d’être lâche !
— C’est que vous l’avez été, répondit Alexis. La puissance des moines vous intimide, leur haine vous épouvante. Vous enviez leurs suffrages et leurs cajoleries aux ineptes disciples qu’ils choient tendrement. Vous ne savez pas vivre seul, souffrir seul, aimer seul !
— Eh bien ! mon père, il est vrai, je ne sais pas me passer d’affection ; j’ai cette faiblesse, cette lâcheté, si vous voulez. Je suis peut-être un caractère faible, mais je sens en moi une ame tendre, et j’ai besoin d’un ami. Dieu est si grand, que je me sens terrifié en sa présence. Mon esprit est si timide, qu’il ne trouve pas en lui-même la force d’embrasser ce Dieu tout-puissant, et d’arracher de sa main terrible les dons de la grace. J’ai besoin d’intermédiaire entre le ciel et moi. Il me faut des appuis, des conseils, des médiateurs. Il faut qu’on m’aime, qu’on travaille pour moi et avec moi à mon salut. Il faut qu’on prie avec moi, qu’on me dise d’espérer, et qu’on me promette les récompenses éternelles. Autrement je doute, non de la