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SPIRIDION.

quand vous êtes entré dans un cloître ? Vous êtes-vous bien dit que c’était enfermer votre jeunesse dans la nuit du tombeau, et vous résoudre à vivre dans les bras de la mort ?

— Ô mon père ! lui dis-je, je l’ai compris, je l’ai résolu, je l’ai voulu et je le veux encore ; mais c’était à la vie du siècle, à la vie du monde, à la vie de la chair que je consentais à mourir…

— Ah ! tu as cru, enfant, qu’on te laisserait celle de l’âme ! tu t’es livré à des moines, et tu as pu le croire !

— J’ai voulu donner la vie à mon ame, j’ai voulu élever et purifier mon esprit, afin de vivre de Dieu, dans l’esprit de Dieu ; mais voilà qu’au lieu de m’accueillir et de m’aider, on m’arrache violemment du sein de mon père, et on me livre aux ténèbres du doute et du désespoir…

Gustans gustavi paululùm mellis, et ecce morior ! dit le moine d’un air sombre en s’asseyant sur son grabat ; et, croisant ses bras maigres sur sa poitrine, il tomba dans la méditation.

Puis se levant, et marchant dans sa cellule avec activité : — Comment vous nomme-t-on ? me dit-il.

— Frère Angel, pour servir Dieu et vous honorer, répondis-je ; mais il n’écouta pas ma réponse, et après un instant de silence : Vous vous êtes trompé, dit-il ; si vous voulez être moine, si vous voulez habiter le cloître, il faut changer toutes vos idées, autrement vous mourrez !

— Dois-je donc mourir en effet pour avoir mangé le miel de la grâce ? pour avoir cru, pour avoir espéré, pour avoir dit : Seigneur, aimez-moi ?

— Oui, pour cela tu mourras ! répondit-il d’une voix forte, en promenant autour de lui des regards farouches ; puis il retomba encore dans sa rêverie, et ne fit plus attention à moi. Je commençais à me trouver mal à l’aise auprès de lui ; ses paroles entrecoupées, son aspect rude et chagrin, ses éclairs de sensibilité, suivis aussitôt d’une profonde indifférence, tout en lui avait un caractère d’aliénation. Tout d’un coup il renouvela sa question, et me dit d’un ton presque impérieux : — Votre nom ?

— Angel, répondis-je avec douceur.

— Angel ! s’écria-t-il en me regardant d’un air inspiré. Il m’a été dit : « Vers la fin de tes jours, un ange te sera envoyé, et tu le reconnaîtras à la flèche qui lui traversera le cœur. Il viendra te trouver, et il te dira : Retire-moi cette flèche qui me donne la mort… Et si tu