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SPIRIDION.

cette face flétrie un mélange inexprimable de décrépitude et de force virile. Je passai derrière son fauteuil sans faire aucun bruit, dans la crainte de le mal disposer en l’éveillant brusquement ; mais, malgré mes précautions extrêmes, il s’aperçut de ma présence, et sans soulever sa tête appesantie, sans ouvrir ses yeux caves, sans témoigner ni humeur ni surprise, il me dit : Je t’entends.

— Père Alexis… lui dis-je d’une voix timide.

— Pourquoi m’appelles-tu père ? reprit-il sans changer de ton ni d’attitude, tu n’as pas coutume de m’appeler ainsi ; je ne suis pas ton père, mais bien plutôt ton fils, quoique je sois flétri par l’âge, tandis que toi, tu restes éternellement jeune, éternellement beau !

Ce discours étrange troublait toutes mes idées ; je gardai le silence. Le moine reprit.

— Eh bien ! parle, je t’écoute. Tu sais bien que je t’aime comme l’enfant de mes entrailles, comme le père qui m’a engendré, comme le soleil qui m’éclaire, comme l’air que je respire, et plus que tout cela encore !

— Ô père Alexis, lui dis-je, étonné et attendri d’entendre des paroles si douces sortir de cette bouche rigide, ce n’est pas à moi, misérable enfant, que s’adressent des sentimens si tendres ; je ne suis pas digne d’une telle affection, et je n’ai le bonheur de l’inspirer à personne ; mais puisque je vous surprends au milieu d’un heureux songe, puisque le souvenir d’un ami égaie votre cœur, bon père Alexis, que votre réveil me soit favorable, que votre regard tombe sur moi sans colère, et que votre main ne repousse pas ma tête humiliée, couverte des cendres de la douleur et de l’expiation.

En parlant ainsi, je pliai les genoux devant lui, et j’attendis qu’il jetât les yeux sur moi. Mais à peine m’eut-il vu, qu’il se leva comme saisi de fureur et d’épouvante en même temps ; l’éclair de la colère brillait dans ses yeux, et une sueur froide ruisselait sur ses tempes dévastées. — Qui êtes-vous ? s’écria-t-il, que me voulez-vous ? que venez-vous faire ici ? je ne vous connais pas ! — J’essayai vainement de le rassurer par mon humble posture, par mes regards supplians. — Vous êtes un novice, me dit-il, je n’ai point affaire avec les novices. Je ne suis pas un directeur de consciences, ni un dispensateur de grâces et de faveurs. Pourquoi venez-vous m’espionner pendant mon sommeil ? Vous ne surprendrez pas le secret de mes pensées. Retournez vers ceux qui vous envoient, dites-leur que je n’ai pas long-temps à vivre, et que je demande qu’on me laisse tranquille. Sortez, sortez, j’ai à travailler ; pourquoi violez-vous la con-