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ATHÈNES SOUS LE ROI OTHON.

en un seul, dans lequel l’élément asiatique, faible désormais, avait fini par prendre une couleur grecque, en échange de ce qu’il avait donné à la Grèce de physionomie asiatique. On aurait distingué difficilement, à l’extérieur, une mosquée d’une église, tant elles se ressemblaient dans leur architecture empruntée l’une de l’autre, et surtout dans leur décadence commune ; on ne saurait nier non plus qu’il n’y ait beaucoup de rapports entre un derviche et un capucin ; et quant aux habitations, il eut été difficile que, Grecs et Turcs vivant à peu près de même, il y eut des maisons grecques différentes des maisons turques, si ce n’est par ce qui distingue en tout pays les demeures des gens riches de celles des gens qui ne le sont pas. Athènes devait donc offrir un aspect tout grec, tout oriental, au petit nombre de Francs que l’enthousiasme ou l’étude amenait de loin en loin dans la ville turque, pour y rechercher la cité antique. Stuart, en dessinant les antiquités d’Athènes, n’avait trouvé rien de mieux à placer dans ses tableaux, en fait de personnages épisodiques, que des Turcs, dont la figure grave et le maintien imposant, relevés encore par un riche costume, pouvaient seuls se montrer à côté des monumens antiques. Byron, si mécontent des autres et de lui-même, n’avait eu d’indignation à exhaler à Athènes que sur les ravages commis par un Écossais ; et vous-même, mon cher ami, qui avez livré aux Turcs tant de combats heureux dans tant de pages éloquentes de votre livre, il ne paraît pas que vous ayez été choqué de la présence des Turcs, si ce n’est quand le souvenir des Perses se réveillait en vous au nom de Marathon ou de Salamine.

Je continue de me représenter Athènes telle qu’elle était à l’époque où vous l’habitiez, et c’est surtout d’après vos souvenirs que je me la représente. Ses rues étroites et mal pavées serpentaient entre deux files de maisons, dont l’escalier intérieur aboutissait à un premier étage, et dont le toit formait une terrasse. Les plus grandes de ces maisons, grecques et turques indistinctement, avaient une petite cour, où une fontaine répandait la fraîcheur, et un petit jardin qui suffisait pour procurer une apparence d’ombre et de verdure : double trésor, dont on ne peut bien apprécier la valeur que sur un sol aride et sous un ciel ardent comme celui-ci. Pour alimenter ces fontaines privées et pour fournir à un petit nombre de fontaines publiques, on avait épuisé, par des dérivations, le lit de l’Hissus et du Céphisse ; car l’ignorance ou l’incurie de tous les gouvernemens qui s’étaient succédé avaient laissé perdre des sources excellentes qui abreuvaient la ville de Périclès. Ainsi, la fontaine de Panops avait tout-à-fait disparu, celle de Clepsydre justifiait plus que jamais son nom, en cachant sa source, et l’Enneakronnos, qui jaillissait par neuf ouvertures sous la tyrannie de Pisistrate, ne fournissait plus une onde avare que par deux ou trois de ses anciens canaux. Je ne parle pas de l’aqueduc d’Hadrien, dont l’entretien avait cessé depuis des siècles d’être possible à l’indigence de la moderne Athènes, ni des anciens conduits taillés dans le roc, qui n’avaient pu servir qu’aux besoins de la république, et qui répondaient si bien à son génie. L’eau du Céphisse et celle de l’Hissus, devenues la seule ressource de la cité chrétienne, avaient donc passé tout entières dans ses