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lieu de tout, et avec un seul palais, celui de la douane, parce qu’ici, comme ailleurs, en fait d’édifices publics, on ne dépense de l’arpent que pour ce qui en rapporte. Arrivé, au Pirée, pour voir la Grèce, et me trouvant ainsi transporté dans un des derniers faubourgs de Naples, sans rien qui me rappelât la Grèce, j’avais hâte de m’éloigner du Pirée. Pour cela, les moyens s’offraient en foule. J’avais à choisir, dans une multitude de fiacres délabrés, entre le vieux landau allemand et le coricolo napolitain, j’avais même la ressource de l’omnibus français ; car la civilisation ébauchée de la Grèce se sert de tous les élémens de nos vieilles civilisations européennes, et ce serait peut-être un spectacle curieux, s’il était donné ailleurs qu’ici, que celui d’un peuple aspirant à se faire une vie nouvelle avec tous les débris tudesques, avec tous les meubles gothiques qui lui tombent sous la main. Mais je ne puis me faire, je l’avoue, à l’idée d’arriver à Athènes en fiacre ou en omnibus, et pourtant c’est ainsi que je fus obligé de faire le court trajet du Pirée à Athènes, sur une route droite et unie, comme celle de Terracine. Vous dirai-je maintenant que cette route, construite par les ingénieurs bavarois, l’a été aux dépens des longues murailles, dont les derniers débris, respectés par plus de vingt siècles, se sont réduits en poussière sous des mains allemandes ? Vous dirai-je que le bois d’oliviers, mutilé par la hache des Turcs, n’ombrage encore en grande partie qu’un sol hérissé de ronces, où tout ce qui était antique a disparu, sans qu’une culture nouvelle réjouisse la vue qu’à de bien rares intervalles ? Et concevrez-vous que j’eusse besoin d’être à Athènes, pour me croire sur le sol antique ?

Suis-je bien sûr du moins que je suis à Athènes, depuis que j’y suis arrivé ? Ici encore, souffrez que j’en appelle à vos souvenirs, en vous faisant part de mes impressions. Si je consulte tout ce qu’on a écrit sur Athènes, et ce que vous en avez dit vous-même, cette ville avait dû conserver, sous la domination turque, toute sa physionomie grecque. Les Grecs étaient les maîtres réels du pays, comme ils en étaient à peu près les seuls habitans. Quelques Turcs, tels que le vaivode, qui avait son habitation au centre de la cité, et le kislar-aga, qui occupait l’Acropole, rappelaient seuls, au milieu d’une population grecque, l’autorité musulmane ; mais ces Turcs eux-mêmes, vaincus par les habitudes de la Grèce, familiers avec son langage et presque convertis à sa croyance, tant ils étaient devenus indifférens à la leur, n’offraient plus que l’ombre de ces conquérans farouches, de ces despotes altiers, qui avaient planté, quatre siècles auparavant, le drapeau de Mahomet II sur les acropoles d’Athènes et de Corinthe. La Grèce moderne avait triomphé, dans la personne des Turcs, de ses maîtres nouveaux, comme autrefois la Grèce antique avait vaincu les Romains, au sein de Rome même. Athènes, sous le pouvoir des Turcs, était donc une ville toute grecque, où les Turcs eux-mêmes ne se distinguaient que par une sorte de supériorité qu’ils avaient su donner à la civilisation grecque en l’adoptant ; où les Grecs, à leur tour, se rapprochaient, par les manières, de leurs maîtres pour les mieux gouverner ; où les deux peuples enfin, enlacés par mille liens, tendaient à se fondre