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ATHÈNES SOUS LE ROI OTHON.

Munychie, rien à Phalère ; partout le silence et la solitude. Mais dans ce désert, où chaque coin de terre avait eu un nom, chaque rocher un monument, il y avait un champ libre ouvert à l’imagination, de même qu’il restait un terrain vierge sous les pas de l’antiquaire. Pour peu que, devançant dans votre impatience le guide et les chevaux que devait vous envoyer M. Fauvel, vous eussiez voulu vous engager seul sur la route d’Athènes, vous auriez pu la suivre à la trace des longues murailles, premier monument de la puissance d’Athènes et dernier débris de son existence. Porté sur ces blocs énormes, qui n’avaient pu être assemblés que par des mains libres, et qui n’avaient pu être arrachés encore par tant de tyrans, depuis ceux qu’on nomma les Trente, jusqu’à ceux qu’on ne compte pas, vous auriez franchi cet espace de deux lieues, presque toujours sur la voie antique, et trouvant, à chaque pas, dans un massif de pierres, un témoin de patriotisme, de liberté et de courage. En même temps que vous auriez cheminé entre ces deux files de débris gigantesques, pour ainsi dire à l’ombre des souvenirs de la liberté hellénique, vous auriez traversé ce beau bois d’oliviers, dont les troncs, alors pressés, ces troncs séculaires, qui viennent des rejetons plantés dans les derniers âges de la république, sont aussi, comme tout ce qui couvre le sol attique, des débris de l’antiquité. Vous seriez ainsi arrivé à Athènes, sans guide, comme sans témoins, ou plutôt avec les monumens du siècle de Thémistocle pour guides et pour témoins ; et parvenu, par cette voie, au pied de la colline qui porte encore le temple de Thésée, bâti par le fils de Miltiade, vous auriez gagné l’asile de notre consul, sans avoir rencontré dans toute cette longue route, outre deux maisons françaises, rien qui ne fut grec et héroïque.

Je ne vous dirai pas combien les temps sont changés, combien les circonstances sont différentes ; jugez-en vous-même. En débarquant au Pirée, je vois le rivage tout couvert d’habitations modernes, bâties sans plan, sans ordre, sans symétrie, boutiques, hangars, magasins, qu’on dirait construits d’hier, et qui semblent ne devoir durer que jusqu’à demain. Devant ces maisons, qui n’appartiennent à aucun pays ni à aucun siècle, se presse un peuple qui n’appartient pas plus à la Grèce ; un amas d’étrangers, de ces gens qui viennent de tous côtés exploiter une nouvelle fortune de peuple, un nouveau siége de gouvernement, qui parlent et qui entendent toutes les langues, au moyen d’une seule qui leur est commune à tous, celle de l’intérêt. Le Pirée, refuge actuel des gens qui étaient, il y a cinq ans, à Nauplie, il y a dix ans à Ægine, et qui seraient demain à Patras ou à Corinthe, s’il y avait là une cour, ou quelque chose qui y ressemblât ; le Pirée est donc une ville, comme il y en a tant, comme il y en a partout, où le comptoir est toute la cité, où il n’y a d’autre patriotisme que celui du magasin. Seulement, cette ville, qui aurait quelque chose d’italien, quelque faux air de Livourne ou d’Ancône, s’il fallait absolument lui trouver quelque analogie ; cette ville, si nouvelle et déjà caduque, ne se compose encore que de baraques, qui affectent l’apparence de maisons ; sans églises et sans hôpitaux, parce qu’ici les cafés tiennent