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puissante par ses propriétés, liée d’esprit et d’intérêt à l’aristocratie territoriale, en même temps qu’humblement soumise à la couronne, tant que celle-ci resterait à la tête de la croisade anti-papiste, Élisabeth préparait la naissance de cette opinion nationale qui, en 1688, triompha d’une dynastie catholique, qui, en 1838, résiste encore avec tant d’éclat aux conséquences de la réforme parlementaire.

Sous le rapport religieux, Élisabeth perçut clairement son but, et osa tout ce qu’il fallait pour l’atteindre. Son église a traversé deux siècles de révolution, les pieds dans le sang de l’Irlande ; elle a laissé passer Cromwell et fait tomber Jacques II ; elle tient aujourd’hui en échec Daniel O’Connel et le siècle tout entier : établissement prodigieux qui constate combien de temps les institutions peuvent vivre en dehors de la logique, lorsqu’elles sont assez puissantes pour agglomérer les intérêts et s’en faire le rempart.

Élisabeth fut moins heureuse dans son gouvernement civil, et la génération suivante ne laissa pas la liberté anglaise emprisonnée dans le cercle étroit qu’elle avait prétendu lui tracer. Toute remplie de l’idée de sa suprématie royale, conséquence logique, en effet, de la suprématie religieuse qui lui avait été départie, cette princesse s’était fait des prérogatives de son parlement une idée que celui-ci n’osait encore contredire qu’avec une timidité respectueuse. Pour elle comme pour la maison de Stuart, la royauté était la source de tous les pouvoirs légitimes ; et, de quelques formes que les rois eussent consenti à entourer l’exercice de leur puissance, celle-ci planait au-dessus des lois dont elle conservait même le pouvoir de dispenser. Si Élisabeth ne formula pas d’une manière aussi nette que Jacques II le mystérieux dispensing-power, c’est que l’humilité de son parlement ne lui en fournit pas l’occasion. Asseoir les taxes et les tarifs de douanes, régler ce qui concernait la police municipale, la conservation des faisans et des perdrix, pour employer ses termes mêmes, tels étaient, selon la doctrine d’Élisabeth, avec la faculté de rendre des bills d’attainder en matière de trahison, les droits de ses parlemens. Jamais elle ne souffrit de sang-froid que ceux-ci prétendissent s’immiscer dans les questions politiques, bien moins encore dans ce qui se rapportait aux matières religieuses et aux affaires de l’église ; et, personne ne l’ignore, chaque fois que leurs discussions sortirent des modestes limites où la volonté de la reine entendait les circonscrire, un ordre souverain allait arracher de leur banc les téméraires orateurs, pour les envoyer à la Tour attendre le jour de la liberté.