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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

ou rapporter les canons, instituer les évêques sans nulle présentation des chapitres, altérer la discipline, prescrire ou abolir à son gré les rites et cérémonies religieuses. Directeur de la hiérarchie et du dogme, il fut à la fois évêque du dedans et du dehors, pape et concile. Ce fut là tout ce que la liberté et l’intelligence humaines gagnèrent à l’éclatant divorce qui sépara l’épiscopat anglais du centre de l’unité religieuse.

Cette suprématie du souverain et ce pêle-mêle de pratiques et de dogmes, empruntés en petit nombre à la réforme, retenus, pour la plupart, du catholicisme, selon l’inclination personnelle de la reine, furent imposés à la conscience publique, sous les pénalités les plus terribles. L’exhérédation de tout droit civil et politique, la condition la plus abjecte, devinrent le partage de quiconque refusait de courber son front sous ce symbole arrêté par une femme au milieu de ses amans et de ses sycophantes mitrés. L’amende pour le seul fait de non-assistance aux offices de l’église légalement établie, fut tellement forte et exigée avec une rigueur si impitoyable, que les catholiques ne purent se dérober à une ruine totale. Ruinés, ils étaient marqués d’un fer chaud au visage, afin que l’église ne perdît pas ses droits même sur la misère. Le clergé romain fut à peu près exterminé. La loi prononçait la mort contre tout prêtre étranger qui aborderait ce rivage funeste, la mort contre tout prêtre catholique qui célébrerait les mystères de sa foi, la mort contre qui recevrait de sa main l’hostie consacrée, ou déposerait en son sein les secrets de sa conscience.

Ce fut ainsi qu’une tyrannie soutenue par une politique extérieure heureuse autant qu’habile, et sanctionnée aux yeux d’un peuple patriote par la nationalité des résultats, parvint à écraser un parti qui, au commencement de ce long règne, formait encore la majorité numérique au sein de la Grande-Bretagne. Le protestantisme fut, pour ce pays, le pendant de la conquête normande ; il fonda, comme elle, et l’oppression légale des vaincus, et la compacte unité de la noblesse, enrichie pour la seconde fois de tant de dépouilles.

L’établissement anglican, sorti d’abord du caprice d’un monstre, se présente, durant le règne d’Élisabeth, sous un aspect tout politique, et l’inspiration religieuse y reste, à bien dire, étrangère. En ameutant toutes les cupidités contre Rome, en déchaînant toutes les fureurs du fanatisme populaire, cette princesse consolidait son trône et brisait à jamais l’influence de la France et de l’Espagne ; en fondant contre les puritains et les catholiques une église épiscopale,