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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

quante années de tyrannie avant de le faire accepter par la nation. D’un autre côté, l’intérêt politique de Henri VIII était parfaitement étranger à sa résolution, si même la nécessité de ménager l’empire, et le soin de conserver la bonne attitude prise au commencement de son règne dans les affaires générales de l’Europe, ne lui faisaient un devoir de rester catholique.

Cet immense évènement fut donc produit par des motifs aussi indignes de l’histoire que de la grande nation dont il allait changer les destinées. Quoique les révolutions sociales soient d’ordinaire fort indépendantes des causes occasionnelles que la médiocrité leur assigne, on peut dire, à la lettre, que l’anglicanisme ne fût jamais né si Catherine d’Aragon avait eu plus de fraîcheur, et Anne Boleyn le nez plus gros.

Cependant cet établissement à la fondation duquel la prudence humaine resta tout aussi étrangère que la foi, et qui conservait les formes sans l’esprit, l’obéissance sans principe ; cette religion qui maintenait la hiérarchie sans règle, monstruosité logique sortie d’une source impure, et soutenue, au prix de tant de sang, par la ligue de toutes les cupidités appelées bientôt après pour la défendre, la conception de Henri VIII, enfin, défie encore, de nos jours, les adversaires de son dogme et les ennemis de son influence, et reste, dans l’ordre politique, la plus puissante entre toutes les églises européennes ! C’est qu’ici se produit un fait décisif, et que l’on touche, à bien dire, à la racine même de la constitution britannique.

Nous allons voir l’aristocratie reprendre, par l’influence de ce fait même, un rôle très différent, sans doute, de celui qu’elle remplit au XIIIe siècle, et qui, en place de l’affranchissement conquis par la grande charte, lui impose comme un devoir permanent l’oppression de huit millions d’hommes, rôle analogue, néanmoins, qui ne manque ni de popularité, ni de grandeur, et qu’un corps politique peut avouer sans honte.

La confiscation des immenses propriétés du clergé catholique vint donner à l’aristocratie anglaise un intérêt direct dans l’œuvre commencée par Henri VIII. Enrichie des dépouilles de l’église romaine, elle en devint l’ennemie en quelque sorte personnelle ; et dans les longues luttes suscitées par une entreprise aussi vaste et aussi hardie, cette aristocratie finit par reconquérir la force qui ne manque jamais à quiconque représente un principe ou un intérêt collectif. Puis lorsque l’action du gouvernement, sans cesse dirigée vers ce but, eut amené entre l’Angleterre et Rome une scission sans espoir, l’aristocratie se