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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

d’une formule pour le régulariser, d’un parlement ou d’un jury empressés de s’en faire les complices sitôt qu’ils en étaient sommés par la couronne.

Henri VII, en proclamant sans opposition le droit de lever, de sa pleine autorité, des taxes de bénévolence, en faisant consacrer par son parlement la juridiction de la chambre étoilée, avait jeté les bases d’une tyrannie qu’une nation chrétienne ne semblait pas pouvoir connaître. Henri VIII éleva sur elles le monstrueux édifice de sa suprématie politique et religieuse. Il réalisa, presque sans résistance, ce que l’imagination avait jusqu’alors à peine conçu comme possible, et l’on vit reculer les bornes de la perversité aussi loin que celles de la bassesse humaine.

Ce n’est rien pour Henri que d’obtenir la sanction légale de prétentions inarticulées jusqu’à lui, tel que le droit étrange de ne pas payer ses dettes, avec l’obligation plus étrange imposée à ses créanciers de rendre ce que le prince aurait pu vouloir leur rembourser ; ce n’est rien que de voir le parlement, exclusivement occupé à passer les innombrables bills d’attainder qu’on lui apporte l’un sur l’autre, finir par décider que désormais il ne sera plus besoin d’entendre l’accusé avant de le livrer au bourreau. Ce sont aussi de simples accidens, dans l’ensemble de cette effroyable époque, que ces passions de tigre qui commencent par des caresses pour finir par du sang ; ce qu’il faudrait faire comprendre, pour donner la mesure de la dégradation inouie des idées, des mœurs et des ames, ce serait ces sentences de divorce rendues par un clergé sans pudeur ; ces bills qui déclarent légitimes ou bâtards tour à tour les fruits de ces tristes unions ; ces lois enfin, puisqu’il faut les nommer ainsi, en vertu desquelles le billot reste en permanence à côté de la couche royale.

C’est une difficile entreprise, même pour un grand homme, que de changer les croyances d’un peuple, et de substituer un établissement récent à une hiérarchie sanctionnée par la vénération des âges. Les pouvoirs résistent d’ordinaire aux entreprises de cette nature, loin d’en prendre l’initiative ; et s’il arrive parfois aux gouvernemens de les favoriser, ils ne le font du moins que par suite d’intérêts d’une nature très grave, par des considérations politiques plus ou moins fondées sur la raison et la prudence. Ainsi, lorsque le protestantisme s’établit en Allemagne, en Suisse, en Hollande, dans le nord de l’Europe, ses progrès furent le résultat de l’exaltation populaire entretenue par la nouveauté des doctrines, et d’une pensée de résistance nourrie depuis long-temps par les princes du saint-empire contre la supréma-