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de notre politique contre un agrandissement qu’il est temps d’arrêter. Permettez-moi de vous rappeler, malgré la différence des temps et des idées, un mot de Napoléon, qui est bien beau et qu’on a souvent cité : « Il faut, disait l’empereur, que la Méditerranée soit un lac français. » Je n’ai pas présentes à l’esprit les circonstances dans lesquelles il a exprimé cette grande pensée ; mais je ne doute pas que le sort de l’Égypte ne s’y rattachât par l’espérance ou le souvenir. Eh bien ! il y a un moyen pacifique, modeste, désintéressé, d’en réaliser quelque chose ; c’est une alliance intime avec le pacha d’Égypte, même dans les conditions actuelles de son pouvoir. Et, si je ne craignais d’être trop ambitieux pour mon pays, en ce moment de généreuse abnégation, je dirais qu’un jour la France et l’Égypte doivent se donner la main entre Tunis et Tripoli. Vous voyez que je ne crains pas de faire beau jeu aux accusations du Times, qui a découvert que nous aspirons à l’empire de la moitié du monde et que nous sommes en train d’y arriver, parfaitement d’accord en cela avec la Russie, qui prend sans façon l’autre moitié, à la barbe de lord Palmerston et du prince de Metternich.

Ce n’est pas, monsieur, parce que je viens de prononcer le nom du prince de Metternich, que je pense maintenant à ajouter un mot sur la puissance dont il dirige la politique ; au commencement de cette lettre, j’ai placé l’Autriche parmi celles qui menaçaient Méhémet-Ali de leur colère, s’il persistait à vouloir agir en souverain indépendant, et je vous ai promis d’y revenir. Cependant j’en ai peu de chose à dire. L’Autriche laisse quelquefois espérer à l’Angleterre et à la France qu’elle ferait, au besoin, cause commune avec elles contre l’ambition de la Russie. Je crois qu’elle les trompe, ou se fait illusion à elle-même. Elle aperçoit bien quelques dangers pour elle dans les continuels envahissemens de cette puissance qui la presse de deux côtés, qui travaille les populations slaves de son empire, et qui occupe les bouches du Danube. Mais l’Autriche est liée à la politique russe par des considérations supérieures à celles de l’équilibre européen, par la nécessité d’un despotisme moins brutal et tout aussi rigoureux. Aussi, désire-t-elle le maintien du statu quo plus sincèrement et plus vivement que les autres puissances, car le jour où il serait ébranlé, le cabinet de Vienne serait beaucoup plus embarrassé que pas un des autres. Dans l’affaire d’Égypte, l’Autriche n’a pas pris l’initiative ; elle a parlé la dernière, et comme l’avaient fait avant elle l’Angleterre et la France. S’il faut agir encore et prendre un parti énergique, elle hésitera d’abord, laissera faire la Russie, qui est toute prête, et finira par la suivre. Au reste Méhémet-Ali s’est déjà formellement prononcé contre l’application du traité de lord Ponsonby, aux pays qu’il gouverne. Le dénouement quelconque de cette nouvelle crise ne se fera donc pas attendre ; je tâcherai de vous tenir au courant des incidens qui la signaleront. Mais, avant d’en finir avec ce sujet, je vous soumettrai une réflexion simple, et que je n’en crois pas moins frappante : Est-il possible que trois gouvernemens, respectivement posés dans la question d’Orient, comme le sont la Russie, l’Angleterre et la France, se trouvent sérieusement d’accord pour ruiner la puis-