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REVUE. — CHRONIQUE.

entrer dans l’opposition, ne s’y trompera pas plus que nous. Elle sait, comme nous, qu’il n’est pas question de renverser le ministère. C’est à la tribune qu’on renverse les ministères, et ce n’est pas là que l’opposition dont nous parlons a l’habitude de se montrer.

Voici un autre trait de justice. M. Gisquet, accusé par un journal du soir de faits graves qu’il aurait commis pendant la durée de ses fonctions de préfet de police, a rendu une plainte en diffamation. Aussitôt de grandes accusations se sont élevées contre le cabinet. M. Gisquet était un fonctionnaire, c’est au ministère à répondre de ses actes ; s’il y a scandale, qu’il retombe sur la tête des ministres ; on invoque contre eux toutes les foudres de la morale, et la presse, heureuse d’avoir trouvé là un nouveau sujet d’accusation, l’exploite avec son zèle ordinaire. Mais, dans sa chaleur, l’opposition n’a oublié qu’une chose, c’est que M. Gisquet est un des siens, qu’il a figuré au premier rang des adversaires du gouvernement, dans la dernière session, et que l’encre qui a servi à le louer, dans ses journaux, est encore fraîche. Nous n’imiterons pas, toutefois, ces journaux dans l’empressement et l’ardeur qu’ils mettent à écraser un homme qu’ils prônaient il y a si peu de temps. Nous avons appris, par beaucoup d’exemples, à ne pas tenir pour fondées toutes leurs attaques, et nous attendons, avec tous les esprits impartiaux, les résultats du procès qui s’engage, avant de nous former une opinion. Mais nous devons faire remarquer avec quelle promptitude certain parti adopte tous les hommes qui ne sympathisent pas avec le gouvernement, et avec quelle vivacité il les repousse quand il les voit sans crédit. M. Gisquet s’est jeté dans ce parti, nous désirons qu’il y reste, et nous croyons que le ministère fera bien de l’y laisser ; mais qu’on ne parle point de l’ingratitude du pouvoir. Les partis laissent les gouvernemens en arrière sous ce point de vue. Qui eût dit que M. Gisquet, si haut placé dans l’opposition, il y a quelques mois, et qui n’a pas démérité d’elle, que nous sachions, serait attaqué avec cette violence ?

Le supplément extraordinaire de l’Helvétie, feuille suisse, tout en faisant un tableau brillant de l’ardeur belliqueuse qui se manifeste dans les cantons, dit que l’accord le plus touchant règne « entre l’autocrate russe et la dynastie des barricades. » Et nos journaux répètent ces paroles avec emphase. Hier cependant, ils annonçaient avec satisfaction que l’éloignement et l’antipathie des deux gouvernemens se manifeste par le refus de l’empereur d’accorder plus long-temps à l’ambassadeur de France à Pétersbourg l’hôtel dont les ambassadeurs français jouissent de temps immémorial. Ce temps immémorial remonte à l’ambassade du duc de Vicence. Ce fut alors que l’hôtel du quai de la Néva fut mis à la disposition de la France ; en même temps, un hôtel fut affecté par le gouvernement français à l’ambassade russe à Paris. C’était à l’époque où l’empereur Napoléon et l’empereur Alexandre songeaient à former une étroite alliance, projet qui fut de bien courte durée. L’échange des hôtels avait eu lieu jusqu’à ce jour ; mais, il y a quelques mois, lors de l’incendie du palais