Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/127

Cette page a été validée par deux contributeurs.
123
REVUE. — CHRONIQUE.

suader aux bourgeois d’un bourg suisse, et à de pauvres paysans isolés du reste du monde, que la France est gouvernée par un despote terrible, qui ne demande qu’à anéantir la Suisse, par un Gessler qui, après avoir établi la tyrannie dans son pays, voudrait maintenant la propager ailleurs. Opposez à ce tableau les souvenirs de liberté de l’époque impériale, la mansuétude du régime que voudrait rétablir le jeune Louis Napoléon, la facilité des rapports de ce gouvernement avec ses voisins, et vous aurez bientôt raison d’un petit pays comme celui dont Frauenfeld est la capitale. Les journaux français aidant, la diète suisse, après le conseil de Thurgovie, a joué le jeu de M. Louis Bonaparte. Elle ne s’était pas encore prononcée, il est vrai, jusqu’à vouloir défendre, les armes à la main, un étranger qui refusait obstinément d’accomplir dans son entier l’acte qui devait lui donner les droits civiques ; mais celui-ci, voyant la Suisse sur le bord de l’abîme, et jugeant que la comédie était assez avancée, l’a terminée en s’éloignant. Ses adieux à la Suisse sont touchans, et bien faits pour émouvoir, comme ils le font, la sensibilité de nos journaux. Il lègue à la Suisse une complication dans ses rapports avec tous ses voisins, et pour la remercier de la chaleur avec laquelle elle a embrassé sa cause, il équivoque à plaisir sur la qualité de citoyen suisse, et ne jette au pays qui l’a adopté que le nom de seconde patrie, revenant déjà à la première, maintenant qu’il voit que la protection du landamman Anderwert et des petit et grand conseils de Thurgovie ne lui suffit pas.

Nous ne nous serions pas arrêtés aux termes de la lettre de M. Louis Bonaparte, si les journaux n’en avaient fait un monument, et un acte de nature à relever les espérances de la dynastie impériale, compromises à Strasbourg. Écoutons le Siècle : « Le prince Napoléon, frappé des fâcheuses conséquences qui pourraient résulter, pour les deux nations, des circonstances actuelles, affecté surtout de voir la dignité de la France compromise par une politique indigne d’elle, craignant enfin que la vive irritation qui a éclaté en Suisse ne finisse, de conséquence en conséquence, par priver la France, sur le continent, de la seule alliance à laquelle elle puisse avoir confiance ; le prince Napoléon s’est décidé à se retirer. » Ainsi voilà M. Louis Bonaparte qui venait à Strasbourg jeter le trouble et le désordre en France, mettant la main de la Suisse et celle de la France l’une dans l’autre, et leur enjoignant de s’accorder ensemble pour l’amour de lui ! Il y a mieux, c’est que ce clément souverain nous conserve, sans conditions, l’alliance de la Suisse, que nous avions mérité de perdre par notre étourderie ! Il ne lui en coûte qu’un petit bout de lettre au landamman Anderwert, et voilà la France sauvée ! Sa seule alliance sur le continent va lui rester, grâce à la clémence de M. Louis Bonaparte. Qui donc contestera maintenant à M. Louis Bonaparte le titre de citoyen suisse ? Assurément ce n’est pas nous ; car, à ce compte, il serait même roi de la Suisse, qu’il gouverne si despotiquement au dire de nos journaux. Dans tous les cas, il pourra désormais ajouter, sans que personne le lui dispute, à son titre d’empereur des Français, le titre de médiateur de la confédération suisse, qui lui doit la sécurité et la paix.