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MUSICIENS FRANÇAIS.

un pas sans trouver le rhythme ? Il est dans tout ce qui se balance, dans tout ce qui se meut, dans tout ce qui palpite, dans la roue du moulin, dans la faucille des moissonneurs, dans le fléau qui tombe à coups mesurés sur les épis, dans le cœur humain qui bat. Levez-vous contre Aristote, si cela vous convient ; mais, de grace, respectez les lois de l’éternelle nature. Je le répète, l’analyse ordinaire ne peut guère s’appliquer aux œuvres de cette espèce. Il n’y a que leur auteur qui les sache dignement apprécier, parce qu’il n’y a que lui qui les comprenne. Dans le fond de sa conscience il trouve cela beau, et sans doute il a raison : son unique tort, c’est d’être seul de son avis. Les regards de son intelligence plongent dans les ténèbres de ces conceptions, et contemplent le spectacle harmonieux de l’ordre et de l’unité là où le chaos seul nous apparaît ; vue profonde et lucide dont il faut cependant bien se garder d’exalter trop vite la vertu. Il y a des oiseaux que la splendeur du soleil offusque et qui ne voient clair que dans les ombres du crépuscule ; pourquoi n’existerait-il pas des esprits de cette famille, esprits fantasques et nocturnes, éblouis par la lumière limpide et transparente de Cimarosa, et que les ténèbres attirent ?

De la manière dont M. Berlioz traite le rhythme, on peut conclure aisément la forme de sa mélodie. La mélodie de M. Berlioz est quelque chose de tourmenté, de nerveux, d’insaisissable, qui jamais ne se constitue si harmonieusement qu’il en résulte une sensation agréable et facile : cela siffle, grince, et disparaît le plus souvent sans qu’on ait eu le temps d’y prendre garde, quelquefois en produisant sur les oreilles l’effet incisif d’un éclair sur les yeux ; même dans les plus heureuses rencontres, on ne peut appeler cela une phrase, c’est un jet. Les amis de M. Berlioz prétendent ne voir là-dedans que parti pris et conséquence d’une méditation profonde sur les tendances nouvelles de l’art. Ériger en système ses défauts est une vieille ruse qui ne donne le change à personne. Quel que soit le musicien qui compose, si l’idée s’offre à lui belle, pure, mélodieuse, soyez sûrs que son premier soin sera de la donner au public dans toute son ampleur originelle, dans toute sa native simplicité ; il n’y a point de théorie au monde à laquelle on ne déroge en pareille occasion. L’homme qui tient un diamant splendide dans la main l’expose au grand jour, et laisse les rayons du soleil en caresser la rondeur somptueuse. Si M. Berlioz n’en agit pas de la sorte, c’est qu’il sait fort bien qu’il n’a que des fragmens de verroterie entre ses doigts ; s’il procède ainsi par saccades et soubresauts, c’est qu’il sent que sa